Hervé le Tellier et les si clones

Hervé Le Tellier fait pénétrer la forme même de la pensée dans son roman clonique au moment où un même avion avec les mêmes passagers est dupliqué à trois mois de distances. Si bien que la réalité se décale ou se déclipse dans cet interstellar littéraire.
L'apparent, le connu, l'identifiable, l'acquis ne sont plus qu'une plaisanterie lorsqu'un trou se fait dans la cathédrale vitrée de l'espace-temps par suite d'une anomalie dans sa rotonde. Les savants convoqués à Washington tentent de trouver des explications avant d'ouvrir le banc aux religieux qui vont jouer les étameurs ou les racommodeurs.

Le roman de fait est celui de la pénétration progressive de l'homme par la machine. Et même son cerveau n'y échappe pas si bien que le principe cartésien ne tient plus debout. La conscience peut au mieux se voir elle même en miroir mais elle n'est plus le point de référence de l'humain. Si bien que le cap d'espérance est remplacé par un cap au pire.

Pour LeTellier cela ne date pas d'aujourd'hui. L'homme ou ce qui en reste est une farce. Et l'histoire de ce roman n'est qu'un moment d'une catastrophe à la fois inconcevable sans l'homme mais qui peut s'en passer comme elle le fit des dinosaures. Pour preuve elle peut éliminer les uns et les autres.
Le Tellier nous dirige vers ce que l'on ne voit pas encore, qui ne nous a pas totalement atteint. Et la violence du livre demeure beaucoup plus forte que celle qui se déploie dans les médias. L'oulipien montre que quelque chose nous attend sans que nous le désirions. Les mécanismes de pénétration  échappent mais les jeux sont faits.

Inutile de faire le siège de la réalité. Ce n'est plus que le champ vaguement matériel d'une immanence mathématique et physique. Il n'y a plus de solution. De l'humain au clone – sans distinction – nous sommes fétiches des fétiches, les inconnu(e)s de nos prétendues équations et algorithmes.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Hervé Le Tellier, L'Anomalie, Gallimard, août 2020, 336 p.-, 20 €
Goncourt 2020
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