Rythmes, sons et danses avec Picasso

Inépuisable artiste, infatigable créateur, Picasso surprend toujours, jamais il ne lasse ! Le voici ami de la musique, on ne le sait pas assez, attentif aux sons et inventeur de mélodies visuelles, devenant à son tour, un peintre sonore. Ecouter Picasso, c’est en d’autres termes voir que les harmonies de la vie ou ses dissonances ont traversé son œuvre dans une diversité d’expressions qui renvoient aux grandes étapes de son existence, de l’Espagne où il naît en 1881 à Mougins où il meurt en 1973. Accompagnement parallèle, comme dans une symphonie qui accorde entre elles toutes les notes, les dessins, les tableaux, les sculptures rendent compte de ses expériences personnelles, de ses recherches, de ses affections. Dialogues incessants entre l’air entendu une fois, la mémoire qui le retient et sa traduction concrète sur la feuille et la toile, autant de rapports ténus mais non moins vrais des symboles avec leur matérialité.

Ainsi que le souligne tout au long de ce passionnant ouvrage, très bien illustré et ouvrant sur la connaissance de l’artiste de vastes et inédites perspectives, Cécile Godefroy, historienne de l’art, auteur d’une thèse sur Sonia Delaunay, on voit que chez Picasso, dans le sillage de la tradition et à la suite de Kandinsky, Kupka, Paul Klee notamment, la musique, art du temps est aussi importante que la peinture, art de l’espace, au point de libérer cette dernière de ses motifs afin d’atteindre le même degré d’abstraction  que la première. Pour Picasso, représenter la musique, ce sera d’abord la voir et l’incarner. A l’instar de tout ce qui peut l’inspirer, nourrir ses idées et satisfaire ses élans, Picasso aime les musiques en chair et en os, écrivait en 1966 la journaliste et critique Hélène Parmelin.

 

Dans cette suite poétique et musicale ininterrompue, il semble bien que Picasso aborde sans ordre préconçu tous les thèmes avec une égale facilité, un identique besoin d’explorer les résonnances offertes, une satisfaction à découvrir toujours davantage pour aboutir à exprimer le plus possible, autant dans les sons d’un instrument, la guitare ayant ses faveurs, que dans les occasions de les entendre et les utiliser dans ses œuvres, de la corrida au cirque et au ballet.
A travers l’instrument, sa forme, son emploi, ce qui émane de lui, voilà pour Picasso l’occasion d’approfondir les notions de volume et de dessin, de vide et de plein, jouant de l’inversion des signes de la représentation. De même que chez beaucoup de compositeurs, que ce soit Corelli, Rameau, Bach, Mozart, Stravinsky ou encore Elgar, les variations sont pour lui sources de conception de cadences nouvelles, c’est-à-dire des visions originales de ce qu’il s’est approprié, sans parler de la diversité des approches techniques.

Cela donne, si on le suit brièvement dans une chronologie simple, sortes d’étapes choisies parmi tant d’autres, ces petits dessins au crayon et lavis de sépia et à l’encre représentant un guitariste, exécutés en 1897/1898 alors qu’il est à Barcelone, cette huile sur bois décrivant l’ambiance du Café-concert du Paralelo (1900/1901), ces personnages de music-hall et de cabarets observés dont l’arlequin au premier plan durant les nuits de la Belle Epoque (Au Lapin agile, 1905), ces projets de costumes pour le ballet Le Tricorne (aquarelle, gouache et crayon graphite, 1919), cette huile sur toile de 1921 où se découpent et s’imbriquent Trois musiciens dans un parfait langage cubiste, cette eau-forte sur cuivre où un fin et rapide trait délimité les contours d’un Jeune Bacchus au tambourin avec une bacchante (1934), cette amphore sur base, terre cuite ocre tournée, décor peint à l’engobe noir et blanc puis gravé avant et après cuisson où apparaît dans sa simplicité et sa complexité le Flutiste et joueur de diaule (1950) jusqu’à cet impressionnant Musicien de 1972, vêtu de noir, comme un pressentiment de la fin approchant, peut-être point d’orgue d’un parcours qui, tel un retour sur lui-même, semble nous dire que la musique serait bien cette puissance qui permet à la peinture, art de l’espace, de transcender le temps et de réanimer des pulsions ou des désirs sous des formes renouvelées et rajeunies.   

Accompagnant l’exposition où sont réunies près de deux cents œuvres en provenance de collections publiques et privées et une vingtaine d’instruments, ce livre auquel ont participé près de trente spécialistes tant du peintre que de la musique, qui analysent et expliquent les démarches du maître, constitue une contribution majeure à la connaissance de Picasso en entrant dans les liens les plus intimes de l’artiste avec ses amis compositeurs, entre autres Stravinsky,  Erik Satie et Francis Poulenc comme avec l’univers de la musique dans son ampleur.  

 

Dominique Vergnon

 

 

Cécile Godefroy, Les musiques de Picasso, 250 illustrations, 290 x 230, Gallimard-Musée de la musique-Philharmonique de Paris, septembre 2020, 336 p.-, 45 euros

www.philharmoniedeparis.fr/fr/exposition-les-musiques-de-picasso; jusqu’au 3 janvier 2021

 

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