Harmonies du soir : Silvia Baron Supervielle

Silvia Baron Supervielle crée des présences qui n’habitent pas toujours le corps mais le tiennent en vie - entre flux et déplacements,  fruits de l'exil. Dès 1962 l'auteur a quitté l'Argentine pour la France où elle a commencé à écrire en français. Elle a entretenu une longue correspondance avec Margfuerite Yourcenar, a traduit Borgès – entre autres – et est devenue créatrice à part entière.
Dans ses textes intimes elle cerne la complexité de l’être : le désir et la mort, le masculin et le féminin sans souci de leçon. Existent des approches, des attentes, des montées, des descentes dans divers circuits de reprises, de circulations et d’articulations.

Ce dernier livre – plus encore que les autres - porte atteinte au vide et à la solitude par espoir de fusion du passé et du présent, de la lumière et de l'ombre, du ciel et de la terre là où l'auteur cherche sa musique pour – écrit-elle, me permettre un peu de joie / avant que je m'en aille sans retour aux pays des ténèbres et de l'ombre profonde.

Demeure le risque de l’abîme au sein d’un mouvement vers un assemblage peut-être impossible. L’apparition est trouble, confuse. Pas de lumière éblouissatne : au mieux le noir (sur le blanc), l’os des paysages vu à travers une fenêtre parisienne. Le dehors est  mis à nu afin qu’il devienne un peu moins noir par ce qui s’érige en la richesse intérrieure de la poétesse.
Le désir semble pouvoir se rattraper mais le doute subsiste. L’œuvre capte surtout la latence, le creux. L’image n’est donc plus un simple croire voir mais un déboîtement de reprises en reprises en divers danses et envols macabres ou vitaux.

Ce qui pourrait sembler intransmissible transparaît là où la lumière de la nuit infuse. Si  bien que le réel résiste dans le chant du soir et ses harmonies. Preuve que nous n’irons jamais plus loin qu’en entrant dans l’écriture même si le monde s’y est précipité bien avant.
Viendra le jour où pourtant la vie nous sera retiré mais les mots - tout en provoquant l'isolement de la solitaire - lui permettent de retenir l'existant de divers lieux et temps.  Soudain, quoique inamovible, le réel se déplace car la parole lui échappe. Elle commande de toute son "impuissance" – ou du moins ce que certains prennent pour telle – le regard.
Et de fait, pour Silvia Baron Supervielle, l’amplification du silence donne image au monde là où la nostalgie n'est là que pour rameuter des scènes primitives mais qui ne séparent en rien l'auteure du dehors.

L’innannulable la fait tenir encore tant que le corps résiste et ce, sans destination sinon celle de tout mortel. Dans un mouvement perpétuel peuplé des approximations de chacun, le "regard inconnu" parle dès lors ce que  l'auteure scrute :  autant le ciel que la terre, Paris que Buenos Aires.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Silvia Baron Supervielle, Le regard inconnu, Gallimard, octobre 2020, 110 p., 12 €

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