François Noudelmann : Sartre est un autre

François Noudelmann possède l'art de la finesse mais aussi de la démonstration. Il le prouve en refaisant une santé à l'œuvre de Sartre et en redorant le blason d'un homme parcouru selon son biographe de tensions. Ici l'auteur de "L'être et le néant" sort du giron de Simone de Beauvoir et de l'engagement au moment et à une époque où l'œuvre s'enlise et se perd dans les vases de l'oubli.
Sartre bénéficia en son temps d'une reconnaissance bienveillante des intellectuels. Leur marxisme faisait la pluie et le beau temps sur l'idéologie française. Hors lui point de salut et l'auteur des Mains sales en devint un des héros et l'écrivain majeur. Pour seule preuve : son "Idiot de la famille" qui reste sans doute le travail le plus brillant sur Flaubert.

Noudelmann propose la revisitation de l'homme et l'œuvre de manière habile, plaisante et circonstanciée. Sa vision est plus parallèle, romantique et narcissique. Et son Qui fut Sartre ? renvoie à un caméléon rêveur mélancolique et "compartimentaliste". Il fut capable de construire le récit de lui-même, sut le contrôler même sous le sceau  – a priori indestructible  – d'une succession d'autocritiques. Elles le mirent selon son biographe en révolution constante là où se superposent divers actes de torsions habiles qui peuvent cacher une certaine mauvaise foi bourgeoise.
Le critique débusque sous le célibataire engagé et amateur de femmes un homme qui reste néanmoins sincère. Noudelmann détruit sur ce plan  bien des clichés où Sartre était enfermé mais il  finit par en proposer d'autres.

Certes ce livre vaut ce que valent toutes les biographies : rien qu'une approche de la vérité et non son entièreté. Elle est ici sympathique au moment. Sartre y ressemble plus à Stendhal ou Flaubert qu'à Marx. C'est là une bel angle de vue envers celui qui connut la musique (à tous les sens du terme) et certaines addictions de passage. Mais l'ouvrage séduit plus par son écriture que par son sujet traité (souvent de manière hagiographique).

Reste la verve touchante et amusante de Noudelmann. L'auteur s'appuie sur bons nombres de documents et témoignages (dont celui de la fille adoptive de Sartre). Il fait de lui un embusqué débusqué. Le portrait est sans doute trop beau pour être vrai.  Il lève néanmoins bien des hypothèques. A l'inverse certaines de ses hypothèses pourront sembler douteuses.

D'autant que Sartre cultiva le mensonge sur soi à la manière du Rousseau des Confessions et des Promenades. Mais s'il existe sans doute de l'imposture chez le premier  – elle n'est  pas plus grande (ni moins) que chez bien d'autres grands écrivains avides de leurs traces. Noudelmann considère en celles de son modèle un aspect "intranquille". Voire... Il est parfois tout bêtement amoureux et cela le rend plutôt sympathique et galvanisé sous ses zones d'ombres et les torsions de son inconscient.
 

Jean-Paul Gavard-Perret
 

François Noudelmann, Un tout autre Sartre, coll. Blanche, Gallimard, octobre 2020, 208 p.-, 18 €
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