Corot, la main et l’œil

Ce que j’aime tant chez Corot, c’est qu’il vous donne tout avec un bout d’arbre, avait lancé un jour Renoir, sans doute comme une boutade, mais aussi en pensant autant à l’homme qu’à l’artiste. Bonté, nature, deux mots qui sans le résumer, il les dépasse de beaucoup, reviennent souvent quand on évoque ce peintre aussi discret que célèbre.
Daumier le premier loua sa générosité. À égalité que le bonhomme en blouse, davantage heureusement, pour notre plaisir, les arbres, les frondaisons de Ville d’Avray, les collines autour de Rome, les petits villages du Limousin ou autour d’Arras, partout la présence conjuguée de l’eau, du ciel, de la terre ocre, comme si nombre de ses tableaux étaient une ode voulue à la création. Le minéral qui défie le temps, le végétal qui palpite de vie, Corot s’est fait l’écho sur ses toiles de la simplicité des choses, qui vues ainsi, acquièrent une beauté infinie et sans pareille. Pour lui, on voit combien le paysage traduit à travers ses éléments le passage des saisons et ses accords à l’humain.

Il composait lui-même dit-on, ses couleurs vertes, pour rendre les nuances les plus subtiles des décors, d’où bien visibles, passées les teintes chaudes de ses périodes italiennes, ces paysages diaphanes, aériens, estompés, ces instants vécus dans les brumes argentées. La critique lui avait été assez longtemps hostile, du moins était-elle réservée. Quelques censeurs de l’époque jugeaient sa peinture plate et sans ressort. Plus avisé, Paul Valéry l’aimera et dira que chez lui, il n’y a que travail et contemplation

Si Corot maintenant ne cesse de séduire et d’emporter avec lui tous les suffrages, c’est grâce à son remarquable savoir des combinaisons chromatiques, des perspectives, des équilibres des volumes, ce sens du plein air qui donne tant de respiration à son œuvre et la baigne d’une lumière parfaite, renouvelée, juste et poétique tout ensemble. On sait l’influence qu’il a eue sur Monet et les impressionnistes et Picasso saluera son talent en possédant notamment dans sa collection le petit tableau de Maria di Sorre, de 1826.
On s’interroge toujours au sujet de Corot, est-il romantique, classique, réaliste ? Il est à la fois cela et pas cela, il est lui-même tout fidèle à la tradition et novateur dans son siècle, reliant les styles et s’en détachant. Il est aussi bien celui qui exécute une Vue près de Naples rigoureuse et au demeurant fantaisiste, et celui qui signe en 1843 la surprenante et suggestive Marietta ou l’Odalisque romaine ou encore cette digne et presque sévère mais combien fascinante Dame en bleue, de 1874, Emma Dobigny ayant été son modèle.  

Les très nombreuses illustrations de cet ouvrage, qui avait été initialement publié en 1996, permettent de suivre toute la carrière de Corot, depuis ses débuts, ses deux périodes italiennes dans le sillage d’un nom oublié et qui mériterait pourtant d’être bien plus connu, Achille-Etna Michallon, qui avait été premier lauréat du Prix de Rome pour le paysage historique, jusqu’à cette vieillesse flamboyante pour reprendre le mot des deux auteurs, apportant chacun leur regard d’experts et les croisant. S’il y a bien chez Corot une volonté de lyrisme, celle-ci s’allie aussi à un désir de vérité, comme si émotion et rectitude devaient se fondre l’une et l’autre. Il avait dit d’ailleurs que le réel est une partie de l’art, le sentiment le complète. Ses vedute mettent les monuments antiques sous une lumière aussi rigoureuse qu’inspirée, en héritier qu’il est de Poussin et de Claude Lorrain.

Il est intéressant de lire dans la partie des témoignages et des documents, ce qu’ont fait pour Corot ses deux premiers biographes et auteurs du Catalogue raisonné de son œuvre, Alfred Robaut et Etienne Moreau-Nélaton. 
À revoir également, à travers les correspondances, le portrait que l’artiste tire de lui-même, sans oublier la question des faux et ses relations avec les femmes qui ont accompagné son travail. On suit avec un grand intérêt Corot dans ses voyages en France, couronnés par cette étape décisive que fut Mortefontaine. Le lecteur est ainsi invité à découvrir un peintre que l’on croît parfaitement connu, parce qu’à la fois célèbre et si souvent abordé, il reste  celui qui ne cesse de surprendre par la finesse de ses tonalités, l’originalité de ses approches, tant il a déployé dans toutes les directions ses aptitudes à travailler sur le motif. Que ce soit dans l’art du paysage que dans celui du portait, ainsi que l’écrivent les deux auteurs, Corot s’obligeait à faire de sa main le pur prolongement de son œil.

 

Dominique Vergnon

 

Vincent Pomarède, Gérard De Wallens, Corot, la mémoire du paysage, 125 x 178, 220 illustrations, Découvertes Gallimard-RMN Grand Palais, mars 2021, 176 p.-, 16,30 euros

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