Frédéric Boyer & la lessive de l’existence

Plus que jamais nous vivons un jour sans fin, sempiternellement le même depuis plus d’un an, conduisant inexorablement à se poser la question du sens, de la finalité de tout ce cirque, de cette vie que l’on nous impose, et que l'on imposerait à notre tour ; d’ailleurs le nombre de naissances a fondu en un an, et pas seulement en France ; certains se demandant fort justement à quoi cela sert-t-il de donner naissance dans un tel capharnaüm…
Frédéric Boyer qui aime pointer sa plume sur les interstices liant nos cercles intimes, nos desseins candides et nos cupidités inavouables, s’empare de la Question. Être un homme, qu’est-ce donc ? Quel rapport entretenir avec la vie puisque la fin est déjà connue ? 

La mort. Le sujet tabou par excellence, la mort qui, une fois venue ne passe pas. Elle reste avec nous, dans nos bras vivants qui auront toujours le regret déchirant de ne pas avoir pensé à la repousser. […] On voudrait alors vivre la vie à la vitesse avec laquelle la mort emporte ceux qu’on aime. Ainsi le narrateur, à l’orée de ses douze ans, s’acoquine-t-il d’un voisin haut en couleur, ouragan sur pattes qui conduit sa voiture à cent-cinquante kilomètres par heure sur les départementales entourant Toulouse, emmenant dans ses virées le jeune garçon pour l’extraire à l’étouffement de ces quatre murs qui les enferment.
Vivre libre en plein air, chasser à l’occasion, boire de la bière, reluquer les filles, effectuer quelques petits larcins, se sentir vivant… Si les parents laissent faire, malgré une mère angoissée au possible, le jeune garçon sent bien qu’il vit quelque chose d’extraordinaire, hors de l’ordinaire de ses pairs qui enchaînent collège, devoirs, vie familiale…  

Casser la routine avec cet Hidalgo de pacotille quoiqu’il en coûte et quelque soit les réflexions de sa mère, le narrateur voit l’illusion qu’il portait sur lui comme un suaire de foire, une parure dans laquelle il enveloppait le rêve qu’il poursuivait en vain, […] ce mensonge demeure pour [lui] la part enfantine et nécessaire de toute vérité à vivre. Pour supporter d’avoir à franchir les seuils poisseux de l’existence, comme nous franchirions ces cols neigeux où nos armées auraient été défaites. Toujours poursuivre ses rêves et conserver son âme d'enfant, surtout dans ce monde d'adultes devenus fous...

La vie serait alors une maison qui ne nous appartient pas, avec une porte dont nous n’avons pas la clé, une maison virtuelle pour le dire à la mode contemporaine… Matrix disait vrai alors ? La nuit est absence et c’est peut-être pour cela que certains la préfèrent au jour où la commedia dell’arte impose une pantomime insupportable d’hypocrisie bienveillante ; cette lessiveuse de l’existence qui nous ronge à petit feu. Hors les villes, hors les murs la vie vaudrait, peut-être, la peine d’être assumée, vécue dans un minium d’humilité et d’harmonie avec la nature, loin du monde digital qui finira par nous absorber, nous digérer et… nous annihiler. Carpe diem ! 

   

François Xavier 

 

Frédéric Boyer, Le Lièvre, Gallimard, avril 2021, 150 p.-, 15 € 
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