Louise Glück : rétro-diction

Pour entendre ce qu'il en est d'écrire il suffit de revenir à Louise Glück. Pour elle nommer c’est mettre en évidence et offrir en pâture une voix de tête  face au vain bavardage inessentiel du monde. Ce parler guette le mot qui manque,. Parce que c’est la seule façon de demeurer abrité dans ce nom sans tout à fait s'exiler du langage comme les fous, les pierres,  les bêtes, ou les morts.

La poétesse apprend comment et pour être à même de dire, il faut accepter de lézarder le silence en soi pour entendre les conversations de l'infra-langue dans un travail de rétro-diction.

L’essence même du langage tient à ce face à face avec l'autre et soi-même en rappelant  un passé sans fin et inépuisable. Il se définit à partir de la langue maternelle.
La poésie de Louise Glück fonctionne donc en un rapport de l’extérieur et de l’intérieur, du dedans et du dehors avec une dissociation du corps et de l’esprit mais pas forcément de l’onirisme et du réel.


L'auteure reste une des voix les plus originales de la poésie américaine. Le langage est aussi bien le lieu théâtral du jaillissement de l’ego et de l’alter mais  aussi de leur destruction. S'y croise un mari et un fils au sein d'un jardin qui au-delà du réalisme prend dimension biblique et mythologique.

Louise Glück y fait entendre à la fois la voix des fleurs interpellant leur Créateur comme la sienne se penchant sur sa Création, et la voix humaine interrogeant sa propre finitude non sans échos métaphysiques. Ceux-ci ne sont pas – on s'en doute –  une commodité de la conversation mais sa complication. Ou si l'on préfère la charnière de toutes les oppositions dans l'extinction d'une voix de clairon et la possibilité d’une parole qui – comme chacune d'entre elles – demeure forcément incomplète et signale un manque.

Mais cette parole poétique cherche à joindre quelque chose qui normalement l'altère : un goût pour la fiction et la narrativité. Chaque poème devient une histoire courte et ce afin de mieux "prendre" le lecteur par un hameçon mais où ce qui est exclu généralement des fictions pénètre la parole de la manière la plus simple et radicale qui soit. 


Jean-Paul Gavard-Perret.

 

Louise Glück, L'Iris sauvage, (The Wild Iris), traduit de l'anglais (États-Unis) et préfacé par Marie Olivier, édition bilingue, coll.."Du monde entier", Gallimard, mars 2021,160 p.-, 17 €
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