Richard Texier & les mondes imaginaires

Il est toujours intéressant d’assister à un transvasement, quand un acteur traverse le tain du miroir qui le nargue depuis longtemps et se met à chanter par exemple, ou un peintre qui écrit, pour ce cas précis ; d’autant qu’il ne commet pas une somme érudite ou une théorie particulière – comme le firent Kandinsky, ou Kokoschka – ni un journal de bord à la manière de Dado mais plutôt qu’il nous ouvre une autre partie de son Moi, cette drôle de machine à rêves qui nourrit son imaginaire.
Quand Julius Baltazar s’est souvenu de ses premières amours poétiques et a repris magistralement la plume, Richard Texier revient à l’origine, ce monde de l’enfance qui distille lentement ce qui adviendra et tisse une toile invisible dans laquelle s’arrêteront, rangés dans un premier temps dans l’inconscient, tous les matériaux qui vont permettre la construction mentale de l’œuvre. Et comme notre artiste est à la fois peintre et sculpteur, ce seront donc les lumières et les couleurs, comme la musique et les formes, les mouvements et perspectives qui vont enchanter l’esprit du jeune Richard, des grandes marées aux banderilles sévillanes. Grand écart entre les images paradisiaques de la nature et la cruauté des Hommes…
En effet, le serment qui ensemence l’œuvre de l’artiste s’élabore, jour après jour, dans le labyrinthe de son chaudron intime. Il se raffine avec lenteur, à l’aune d’événements forts et de rencontres marquantes. 


Belle rencontre, oh oui, que ce premier rendez-vous dans l’atelier de la Butte-aux-cailles il y déjà bien des années, qui devait déboucher sur un livre accompagnant l’exposition prévue à l’Observatoire de Paris. Hélas, trois fois hélas, la structure fragilisée par les années ne permit pas, au dernier moment, la présentation des sculptures monumentales que Richard avait prévu de montrer. Partie remise et disparition de l’éditeur et mille tracas nous éloignèrent…
Si bien que je piaffais comme un enfant quand Gallimard me fit adresser ce livre magnifiquement broché et enluminé de dizaines de peintures récentes. Car les toiles de Richard Texier portent en elles une forme cosmique, universelle et mystique qui embrasent le regardeur au premier contact : l’énergie qui s’en dégage électrise et apaise, baume visuel qui s’empare du corps et nettoie l’âme des scories sociétales qui polluent neurones et estomac. Nettoyé et porté vers l’essentiel, soudain me voilà un peu plus moi-même face à telle beauté, me voilà joueur à suivre les contours d’une nouvelle carte du Tendre qui s’ouvre aux étoiles, aux animaux hybrides, aux objets réinterprétés – ah ses fameuses machines inutiles, quelles merveilles !
Oui, la peinture demeure seule capable de capter, par des compositions complexes et des arrangements poétiques, la saveur symbolique du monde en soufflant dans la corne calcinée de l’inspiration. 
 

Cosmonaute de contes et légendes, Richard Texier nous ouvre les portes d’un monde flottant entre deux dimensions, disons la troisième et demie – en clin d’œil au train de Poudlard qui ne peut se prendre que sur le quai 9 ¾ de King's Cross.
Animaux recomposé, objets détournés, tableaux abstraits, l’imaginaire s’explore jusqu’à ses confins ce qui permet à l’artiste de céder à son charme bleuté, dégrader les résistances et les peurs pour déployer les filets de l’audace et capturer enfin les grands poissons à rostre qui hantent les profondeurs indigo de l’esprit
Il semble une fois encore que notre pays en manque, d’esprit : une fois encore les fonctionnaires de la rue de Valois snobent l’un de nos plus éminents artistes. On n'oppose pas deux peintres, mais l'obsession Soulages devient lassante quand on voit qu'elle occulte la lumière qui devrait également éclairer cette démarche fantastique, ce n'est pas tous les jours que l'art contemporain nous donne un artiste français ayant une telle aura internationale ! Soit, nul n’est prophète en son pays, mais cela commence à devenir pénible de voir l’immense reconnaissance internationale dont jouit Richard Texier et rien en France. Il marche sur les pas de Bernard Buffet dont le seul musée au monde qui porte son nom se trouve… sur uen île japonaise (sic). Lequel disait que de la peinture, on n’en parle pas, on ne l’analyse pas, on la sent.

Il y a donc ce sixième sens qui intervient chez l’artiste, cette manière de ressentir le monde, son mouvement, ses bruits et ses couleurs. Les peintres le savent. La couleur est une impression, un voile subtil, une longueur d’onde aérienne et instable. Elle naît de la lumière teintée par la matière qui la diffuse. Enfant, sur les terres charentaises, Richard

Texier se laissera donc baigner des pâles rayons du soleil qui traversent les cristaux de pigment ocre que contient l’humus des champs ; tout comme Baltazar sera marqué par les cristaux de sel observés sur les plages de La Baule. Les deux peintres réintroduiront ces sfumatos dans leurs fonds, créant une ambiance si particulière qui sous-tend le schéma du tableau.
Ainsi une certaine pauvreté, noble, naturelle, apporte une authenticité supplémentaire à la toile, avec ici et là l’introduction de certains éléments (coquillages, galets…) qui saluent l’arte povera dont Texier sera proche, une fois encore par le truchement familial de certains membres qui ne jetaient rien, recyclaient et œuvraient ainsi à une démarche écologique avant l’heure…
Il en ira surtout de cet état d’esprit, une humilité qui n’a pas quitté notre artiste malgré le fantastique succès qui est le sien, notamment en Asie où ses extraordinaires sculptures ravissent un public enthousiaste et connaisseur. 

Témoignage poignant, cette petite histoire qui participe de la grande aventure artistique de Richard Texier, se dévore comme un pain d’épice dont la première bouchée fait remonter toutes les strates enfouies de l’enfance, ce bonheur du temps ralenti.
Offrez-vous une pause, ouvrez ce livre et oubliez tout le reste… 

 

François Xavier 

 

Richard Texier, Codex, nombreuses illustration couleur, coll. Hors série littérature, Gallimard, juin 2021, 248 p.-, 24 €

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