Jawlensky : visage & modernité

Ravis munis de votre sésame sanitaire, vous pouvez aller admirer ces tableaux à Marseille, au musée Cantini jusqu’au 26 septembre ; puis à La Piscine de Roubaix du 6 novembre au 6 février 2022… Sinon, les punis auront toujours ce très beau catalogue pour se consoler et découvrir au cœur de l’histoire de l’art ce peintre russe déroutant, compagnon de route de Kandinsky

Comme son illustre pair, Alexej von Jawlensky aime à expérimenter, ainsi s’empara-t-il de deux courants pour mêler à sa peinture la technique fauve et expressionniste, s’arrêtant plutôt vers cette dernière et laissant partir Kandinsky vers ses expériences et sa recherche d’absolue pour demeurer dans une forme de peinture plus... concrète.
En cela, il se concentra sur le visage, ce lieu où la présence humaine expose la plus forte charge psychologique possible qui permet à l’artiste d’en traduire l’intensité sur sa toile. Malgré le parcours en série dans l’esprit de ses amis Monet ou Mondrian, Jawlensky délaissa l’aspect psychologique et le contexte social pour mieux se rabattre sur le seul espace, ce lieu physique – et uniquement physique – dénué de toute référence humaine. Stylisées à l’extrême, stéréotypées, ses têtes sont dotées d’yeux grands ouverts aux pupilles fixes : le regard traverse le regardeur, mais nous atteint-il vraiment ? Il y a comme un flottement, on se sent détaché du réel… Faut-il y voir une tentative d’approche du sacré ? L’esprit de Roublev n’est pas si loin. 

J’éprouvais le besoin de trouver une forme pour le visage, car j’avais compris que la grande peinture n’était possible qu’en ayant un sentiment religieux. Et ceci je ne pouvais le rendre que par le visage humain.
Lettre au moine Verkade, 12 juin 1938 
 

Atteindre l’au-delà de l’homme, sacrée gageure ! S’apparente ainsi une forme de religiosité chez Jawlensky qui en fait l’un des rares artistes du XXe siècle qui a su renouveler cette forme de peinture. Il agrandit les visages de plus en plus quitte à mener à son terme le processus de géométrisation et à se limiter à certaines couleurs, accentuant ainsi le jeu combinatoire des formes qui occupent tout le tableau.
Il lorgne ainsi, sans le vouloir, vers une forme cubiste/constructiviste qui fait penser aux œuvres de Pevsner et de son frère Gabo, voire aux fameux masques et autres sculptures primitives de Picasso.  
Mais Jawlensky sera le seul à expérimenter avec le visage humain ce que tous les autres font avec le paysage : outre Derain ou Vlaminck, il est le seul à remettre en cause la représentation traditionnelle d’un visage comme expression d’une personne singulière…  

Regardez-les bien, étudiez posément les jeux formes/couleurs, écoutez le silence qui perdure, savourez ces faces qui excluent toute réalité repérable : à la fois image perdue, reflet unique et concept multiple. Une image-palimpseste , en quelque sorte, dans laquelle se confondent la lumineuse madone – souvenir d’enfance – avec le souvenir de l’icône sur lequel vient se juxtaposer l’image de la mère…
Visage, creuset de significations inépuisable, objet capital de fascination.

François Xavier 

Itzhak Goldberg, Jawlensky – La promesse du visage, 190 x 240, broché cousu sous couverture illustrée, 200 illustrations, Fondation MAPFRE/Gallimard, juin 2021, 312 p.-, 29€
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