L’Europe en train, la nuit

S’endormir à Londres, Zurich, Košice, Helsinki, Varsovie, se réveiller à Penzance à la pointe de la Cornouaille, sur les bords du Danube à Budapest, à Prague qu’affinent ses édifices baroques, à Kemi sous le cercle polaire !
Autant de parcours possibles en marge des lignes habituelles à grande vitesse et des circuits convenus. Le temps est à prendre ici comme un allié, sous peine de manquer la latitude qu’il offre de se faire parfois oublier.
En première classe ou en wagon ordinaire, ces trains sont les héritiers de ces convois fabuleux en bois vernis et cuivre étincelant qui naguère accueillaient les célébrités de l’époque. Ce sont 30 itinéraires illustrés et balisés qui sont réunis dans ce livre. Beaucoup n’oseraient pas les entreprendre. Cette lecture les convaincra que ces destinations sont des invitations à regarder autrement les horizons de nos voisins, appliquant d’une certaine manière le conseil de Marcel Proust, Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.

Ces trains de nuit sillonnent toute Europe, on l’oublie souvent. Par-delà la fixité de la fenêtre qui les encadre, ce sont des paysages devenant autant de tableaux peints par des artistes locaux, tantôt longtemps monotones tantôt vite renouvelés, des villages paisibles et des cités actives qui défilent.
Autant de moments de rêverie scandés par les coups de sifflet, le roulement des boggies et le grincement les aiguillages. Leurs réseaux parfois se recoupent dans des gares dont les curieuses architectures valent la peine d’être vues. Ce sont des occasions de mesurer que l’intégration entre nations certes avance, mais que les particularités de chacune se maintiennent, ne serait-ce que par la langue, les coutumes quotidiennes davantage préservées en dehors des capitales, la cuisine du cru, les horaires plus ou moins stricts.

Les surprises ne manquent pas, l’auteur les relate avec humour. On croise des douaniers, on vous sert des petits déjeuners typiques, les couchettes sont diversement confortables, les wagons ont selon les compagnies qui les exploitent des formes propres et des couleurs différentes. Les noms de ces trains, Lusitania, Nightjet, Santa Claus Express, Snälltåget, Euronight Slovakia sonnent comme des appels à des aventures personnelles. Réserver à leur bord un billet sonne déjà l’heure d’un départ hors de soi. 

Thibault Constant, cheminot aguerri et voyageur insatiable, reprend dans ce livre où rien ne semble oublié pour qu’il soit à considérer comme un guide accompagnant l’amateur de déplacements ferroviaires ses expériences. Il les raconte dans un style qui est celui de la modernité des jeunes actuels qui aiment voyager le sac sur le dos. Cela nous assure que ce qu’il écrit est vécu et vrai.
Ayant consacré une bonne partie de son existence au chemin de fer, il note les plus et les moins de ces trains avec la sincérité de quelqu’un qui peut comparer. Pour introduire ou élargir les charmes de ces escapades inédites, il propose des titres de livres comme Lisboa de Fernando Pessoa quand on arrive près du Tage ou L’homme que ma mère a aimé d’Urs Widmer à l’approche de Berlin. Il suggère des airs de musique, Si viaggiare de Lucio Battisti en arrivant à Venise, une symphonie de Sibelius pour saluer la Finlande et des rapsodies de Liszt à la frontière hongroise.

Les horaires, les fréquences, les tarifs, les correspondances éventuelles figurent de façon détaillée, de même quelques cartes simplifiées. Livre cet ouvrage pourrait être un avant-goût de son prochain voyage, car comme le dit un autre voyageur amateur de grands espaces, le navigateur Loïck Peyron, le plus beau voyage, c’est celui qu’on n’a pas encore fait.
 

Dominique Vergnon

Thibault Constant,  Trains de nuit, 30 trajets inoubliables en Europe, 300 illustrations, 178 x 237, Gallimard, octobre 2021, 320 p.-, 25 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.