Morgiewicz chaud lapin, ou pas

Grand écart en absurdie : entre L’homme sans qualité – Musil – et FerdydurkeGombrowicz – il faudra désormais faire une place dans la bibliothèque idéale pour ce missile à têtes multiples qui frappe au cœur avec une sombre et non moins pétillante joie qui n’est pas sans rappeler les fugaces farces d’Idées noires qui vrillaient nos zygomatiques par leur justesse… le tout avec un zeste de la folie d'Éric Chevillard, et vous aurez le cocktail parfait pour oublier les élections qui arrivent.
Chronique d’une ambition avortée dans l’œuf, ce journal écrit par un César désabusé confiné à Kay West (Covid) chez sa grand-mère, ayant fui famille et patrie étouffantes, découpe en autant de scénettes les pires tracas existentiels d’un jeune homme épris de liberté mais empêché, croulant sous les obligations sociétales, étouffant d’angoisse à la seule évocation d’un choix à faire. Hypocondriaque à ses heures, solitaire le reste du temps, conscient que l’ermitage n’est plus d’actualité, tentant de suivre les cours de Sciences Po faute de mieux, notre héros des temps modernes ne parvient pas à considérer les modes contemporaines avec ses affinités.
Pourquoi devrait-il cesser de lire Tintin tous les étés dans le Vercors avec ses tantes et sa mère qui inonde son chou bidou de SMS et se soucier d’être encore puceau à dix-neuf ans – d'ailleurs, plutôt garçon ou fille ? Quelle utilité d’être abonné à des groupes sur WhatsApps – son pire cauchemar – si c’est pour ne rien dire ? Pourquoi chercher la compagnie des autres si l’on se sent bien que solitaire, quitte à passer son nouvel an seul aux feux rouges ?

On le tanne, il faut qu’il fréquente des gens de son âge, comme si les jeunes étaient des gens différents, une humanité meilleure, alors que ce sont évidemment autant des salopards que les vieux. Une session en Russie lui offrira sa première fois mais de retour à Paris, il ne peut se résoudre à entrer dans le moule de ses pairs, tous ces gens qui ne parlent plus que de séries, qui ne font plus que regarder des séries. Et le pire c’est qu’ils vont bientôt tous se mettre à avoir des gosses ! Ça va être un enfer. il va falloir les regarder naître les uns après les autres.
Il postulera à des trucs absurdes évitant ainsi d’être pris, sauf à ce stage dans un ministère qui l’envoie à Bruxelles pour une énième commission afin de participer à la rédaction d’une déclaration commune, laquelle, après une journée de débats pour quatre malheureuses pages, n’est reprise par aucun média, mais qu’importe, ce n’est pas ça qui comptait (sic).

Morgiewicz manie l’absurde dans un style simple qui ravit le lecteur, surpris de tant d’allégresse déployée dans une analyse sans concession de notre quotidien débile auquel tous les pleutres adhèrent… Paradoxalement caricatural, le personnage de César n’en est que plus touchant, montrant la sensibilité que l’on peut ressentir, enfant, quand on subit les outrances des adultes à vouloir vous faire sortir de force de votre environnement. La différence est un concept mais jamais n'est acceptée dès lors qu'on la touche du doigt.
Que ce soit une famille recomposée – comme ici – ou par la force des événements, il est un temps sacré où l’enfant est déchiré entre ses possibles et les attentes extérieures, les contingences, les obligations qui martyrisent le Moi et contribuent à endommager la construction mentale, d’où une forme d’autisme qui se construit comme un grand mur protecteur contre l’agression permanente de cette société pour laquelle on n’est pas fait.
Ce n’est pas une question d’immaturité ou de classe sociale, mais bien de place dans l’univers qui est attribuée à chacun, non pas selon ses désirs, ses possibilités, mais les fantasmes des autres qui veulent absolument que nous soyons ceci ou cela. César tentera de répondre positivement aux souhaits familiaux mais retombera inexorablement dans ses travers, avec toute la tendresse d’un maladroit et la justesse d’un candide en mal d’occupation.

De ce clown blanc qui nous fait plus rire qu’autre chose, on retient la folle équipée littéraire qui nous redonne du peps et nous autorise à croire aux lendemains qui chantent quoique les Cassandre de tout bord continuent à nous promettre l'apocalypse. Gageons que César, pauvre lapin, contribuera à leur donner tort.

François Xavier

César Morgiewicz, Mon pauvre lapin, Gallimard, avril 2022, 240 p.-, 19 €
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