La sagesse d’Edgar Winger

À force de déconstruire à la volée, les idiots utiles crachent aussi sur leur propre langue – après l’intrusion du point médian, on vomit l’imparfait du subjonctif – afin de parachever l’œuvre de destruction massive : parler français serait un acte suranné et puérile ! Le bourgeois est un aliéné qui use du vocabulaire du ressentiment, un homme faux qui abuse du patriarcat. Que de poncifs. Pourtant, ces gens-là existent bien : voici Romain, membre actif d’un parti révolutionnaire qui assume sa caricature, offre 90% de son héritage au parti, milite et s’auto-inflige tous les maux dus à son statut de blanc, mâle, etc. donc privilégié, donc salaud par essence, par naissance (sic). Puisque l’espèce humaine est divisée en tranches, il faut abolir les frontières, détruire toute forme de culture et en finir avec la civilisation. Plus d’Histoire pour enfin être tous ensemble ? 
Quelle belle fadaise. Voici un militant aveugle qui refuse de voir l’empire des femmes sur les hommes – abjurant le désir que les belles formes lui font ressentir – et se pense libre alors que s’il n’est plus l’esclave du système, il l’est tout autant de son idéologie révolutionnaire et des règles du parti qui vont se retourner contre lui. Un jeu de pouvoir qui lui fera constater que tout le monde ment, comme le disait si justement le docteur House.

Écrit sur deux modes différents – première partie en journal du militant parti à Nice à la recherche d'Edgar Winger, seconde en récit classique – cette satire déroule son bovarysme jusqu’au tout dernier mot, offrant des parallèles amusants avec la réalité. Quand Romain retrouve enfin Winger dans sa retraite, dans un petit village, et qu’il voit la belle maison cossue, et a du mal à y croire, on ne peut s’empêcher de se rappeler les images de Mélenchon qui, voulant montrer en direct combien les policiers se comportaient mal en osant pénétrer chez lui, nous offrait une visite pour le moins salée d’un appartement à double-salon, aux murs ornés de tableaux, de meubles haut de gamme, rien mais alors rien de conforme avec l’image du camarade d’extrême-gauche ; comme quoi, il y a le politique Mélenchon qui pourfend le beau, la culture, l’argent…et l’hédoniste Mélenchon qui vit dans plus de cent mètres carrés dans un luxe dont 99% de ses électeurs n’auront jamais accès. 

C’est ici le message de ce drôle de roman : révéler la conscience des individus, demeurer amarré au réel, éviter les généralités portées par la théorie. La quête du jeune Romain envers la tête pensante du parti débouche sur une douche froide dès lors que l’éminence grise jadis portée par des idéaux s’est ravisée de l’absurde de la situation et de l’impossibilité de l’application de ses concepts face à une nature humaine indéfectiblement ancrée dans une forme de Mal que rien, jamais, ne viendra à bout. Ni rééducation à la Mao, ni woke, au tout autre idéologie absurde car dès lors que X ou Y parvient à se hisser à une place au soleil, il en oublie tout le reste… Seuls ne comptent plus que son désir et l’accomplissement de tous les plaisirs possibles, quoi qu’il en coûte… Solidarité est un mot pour les pauvres, les autres l’utilise pour se donner bonne conscience mais ne change rien au système qui les protège. 
On ne change pas le monde ! Et les derniers événements en Ukraine – pour qui sait décrypter – démontrent le cynisme qui nous gouverne, et seulement. La production des biens et des images n’a qu’une fonction : étourdir l’individu séparé pour le mener à l’abattoir de la consommation. On s’accommode du système avec l’âge, on devient stoïque, donc moins borné, candide, idéaliste.

Pour les derniers candides, rappelons que toute idéologie, qu’elle soit macronienne, mélanchoniste, lepeniste ou wokiste, porte en elle la mort, annihilant toute idée de vie libre car l’endoctrinement est le refus du désir, de la naturalité de l’Homme et donc du défaut de ses qualités. Si autant de monde refuse de voter, c’est sans doute, aussi, parce que nous en avons assez de recevoir des leçons données par des gens hors-sol… le nombre décide des Tables de la Loi. Le nombre, la masse, la multitude, la tourbe. La foule s’enivre avec le vin du ressentiment, qu’elle boit en l’appelant Justice. Le Mal n’est jamais si virulent qu’il se croit le Bien, jamais plus pervers qu’il officie en bande, en troupeau. […] Les hommes objectivent le Mal en le posant devant eux, au sein de consciences allogènes ; ce faisant, ils s’absolvent et se regardent narcissiquement dans des portraits moraux pareils à ceux que l’on retouche grâce à Photoshop. Le nombre représente cette technologie fabulatrice de l’âme : mentons-nous, mentons-nous, miroirs, ne sommes-nous pas les plus belles des âmes ? 
Et la réponse est non. 
Vouloir tout casser pour tout reconstruire est une folie, et pourquoi ne pas l’écrire, une manifestation du Mal. Il ne faut vraiment avoir aucune intelligence du tragique de l’existence pour croire qu’un autre monde est possible. 

 

François Xavier 

Patrice Jean, Le parti d’Edgard Winger, Gallimard, avril 2022, 256 p.-, 20 € 
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