Aristide Maillol, l’absolu des formes

Peinture, dessin, gravure, céramique, tapisserie et même broderie, il est curieux de tout, ouvert à tout et doué en tout. Ces différentes approches d’une esthétique qu’il ne cesse d’épurer et de parfaire sont pour lui comme autant d’étapes à franchir au long d’un parcours de formation artistique particulièrement dense, où se révèlent très tôt sa maîtrise et sa créativité.
Elles le conduisent à son but final, la tension et l’attention de toute une vie, sa vraie passion, sa gloire, la sculpture, découverte et aussitôt aimée alors qu’il a déjà une quarantaine d’années. La sculpture le mènera à son triomphe. Chez lui, elle allie le classique antique à formes modernes, qui inspireront Henri Moore ou Arp. Vénus ou baigneuse, Léda ou nymphe, assise, debout, agenouillée, la femme est sa déesse, il en salue de mille manières la grâce et la sensualité.

 

Admirée au Salon d’Automne de 1905, la somptueuse statue Méditerranée exécutée en plusieurs versions, marbre, pierre, bronze, assure sa célébrité. Une telle perfection de volumes et de lignes ne s’obtient qu’au terme d’un long et inlassable travail. Critique d’art reconnu pour son acuité, Octave Mirbeau écrit à propos de l’œuvre : Elle ne rêve pas, n’a jamais rêvé, mais elle vit intensément, normalement, dans la nature dont elle est en quelque sorte le symbole de joie et de santé.
Admirateur du grand sculpteur de la Renaissance française, Jean Goujon (1510-1567), Maillol allait au Louvre avec Harry Kessler, son mécène dont Edvard Munch a laissé un délicat portrait pour voir les œuvres de l’illustre statuaire, estimant que c’est lui qui a créé la femme française, la femme de la haute société, élégante et noble. Octave Mirbeau avait fait l’acquisition en 1902 de Léda qui rencontra un grand succès lors de l’exposition à la galerie Vollard à Paris. Mirbeau rapporte : Un soir, chez moi, Auguste Rodin étudiant longuement, tournant et retournant dans sa main une figure de Maillol, me dit : "Si le mot génie, improprement appliqué à tant de gens, aujourd’hui, a encore un sens, c’est bien ici…"
Venant de Rodin, voilà qui était le suprême hommage.

Quand en 1882, alors qu’il a 21 ans, Aristide Bonaventure Jean Maillol, né à Banyuls-sur-Mer, décide de "monter à Paris". Il est déterminé à devenir peintre. Le voilà aux Beaux-Arts, auprès de Cabanel et Gérôme, mais beaucoup plus séduit par le style de Gauguin que par celui de ces professeurs officiels trop académiques à son goût. Il est bientôt entouré d’amis, artistes convaincus et de surcroît Nabis en quête d’un nouvel imaginaire, Vuillard, Denis, Bonnard, Ker-Xavier Roussel, et il est proche de Matisse.
Maillol peint d’abord sa région natale, il signe une jolie scène pastorale (La Couronne de fleurs, 1888), des portraits féminins de profil, il exécute en 1894 une huile sur toile (La Vague) où semble s’enrouler dans l’onde marine le corps arrondi et séduisant d’une jeune-femme, tableau qui sera une des révélations de l’exposition de Gauguin au café Volpini, à l’été 1889. Maillol est sensible à toutes les originalités.
Dans ces années actives de jeunesse, il brode (Concert champêtre, en laine, soie, lin et fils d’argent), taille le bois et travaille la terre cuite.

 

Mais la vraie vocation court déjà comme en filigrane dans ces œuvres. Maillol (1861-1944) dont le peintre hongrois József Rippl-Rónai qui a séjourné plusieurs mois à Banyuls auprès de Maillol a laissé en 1899 un portait d’une profonde expressivité, entend donc se consacrer à son véritable rêve, la sculpture. Je cherche l’architecture et les volumes, la sculpture, c’est de l’architecture, l’équilibre des masses dit Maillol.
Nées de ses innombrables croquis et esquisses, les statues exposées dans la magnifique exposition du musée d’Orsay, avant de l’être à La Piscine de Roubaix, révèlent un talent sans pareil, un regard à la fois d’amour et de désir envers ces modèles féminins qui posent pour lui, comme Melle Grinbert, Laure, Lucile, Clotilde son épouse, et bien sûr Dina Vierny, née près d’Odessa, arrivée à Paris en 1925. De son vrai nom, Dina Aïbinder, elle est d’origine roumaine. La différence d’âge dépasse 50 ans, Il est son Pygmalion, son refuge. Elle est sa  muse.
Dix années de complicité. Galeriste, collectionnant l’art moderne, Dina Vierny s’engage avec énergie en faveur de son œuvre et crée en 1995 le musée Maillol géré par sa fondation.

Dix auteurs ont uni leurs connaissances et leurs expertises pour établir ce catalogue, d’une densité et d’une qualité constantes, accompagné par de nombreuses illustrations notamment des photos rarement vues. Chapitre après chapitre, le lecteur comprend davantage le processus créateur de Maillol, ses relations avec les autres artistes, les galeristes, les critiques du moment,  il suit cette progression vers un style de plus en plus sobre, concentré, condensé, incarnant son idéal.  
 

Dominique Vergnon

Antoinette Le Normand-Romain, Ophélie Ferlier-Bouat (sous la direction de), Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie, 304 illustrations, 215 x 295 mm, Gallimard-Musée d’Orsay, avril 2022, 352 p.-, 45 €

www.musee-orsay.fr; jusqu’au 21 août 2022 ; www.roubais-lapiscine.com

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"Le hasard c' est la forme que prend Dieu pour passer incognito". La découverte de Dina Vierny, en 1934, fut pour Aristide Maillol la révélation, dans la chair mais également dans l' âme, de toute sa création jusque là. Je suis à Perpignan et je quitte le musée Hyacinthe Rigaud, où Maillol est présent à travers quelques unes de ses peintures et sculptures, pour aller à la rencontre du grand maître catalan au coeur même de la ville, là où  son oeuvre vit, rayonne de toute l' éclatante lumière du pays catalan qui a fait naître et s' épanouir Maillol à l' art, jusqu' à atteindre la perfection. Les déesses du sculpteur sont au centre de la vieille ville... Ici, dans le frais patio aux pierres séculaires de l' Hôtel de Ville, La Méditerranée, solitaire, se recueille dans une profonde méditation et semble avoir toujours vécu dans les lieux. Non loin, place de la Loge de Mer, il nous faut lever la tête pour mériter de contempler la céleste Vénus, dont la volupté l' élève dans toute sa grâce. Le long des allées Maillol, "L' Eté sans bras" m' attend. Aujourd' hui le merveilleux chef d' oeuvre n' a pas tout son lustre, qu' importe, l' absence de tout vernis sied à la beauté véritable, la beauté du corps par la beauté de l' âme, cette beauté qui ne meurt jamais... car chacun sait que les artistes de génie donnent une âme à leurs oeuvres. Cette âme transparait ici dans la sensualité délicate et lascive du corps, dans le visage libéré de toute émotion, dans le regard sans regard, à l' infinie profondeur, que le maître a posé en éternelle lumière du corps. Mais celui qui deviendra l'artiste solitaire de la vallée de la Roume, à Banyuls sur Mer, n' atténue pas les volumes, Aristide Maillol  n' estompe pas les formes; Maillol au contraire les affirme, Maillol les épanouit pour mieux les faire jaillir et nous émerveiller de toute la naturelle beauté du corps féminin. C' est en véritable révélateur  que le maître banyulenc sculpte ses nus féminins. En leur restituant  toute leur authenticité, toute leur vérité, l' artiste de génie fait respirer ses sculptures dans leur chair jusqu' à leur faire atteindre la plénitude de l' harmonie. Par cette harmonie révélée, Aristide Maillol réalisera la difficile métamorphose de la sculpture pour l' ouvrir à l' art moderne... et réconciliera la femme avec son corps.                                                                                                                                                                                                                                                                     Max Régnier Aniche.                                                                                                         Max Régnier Perpignan.