Les mondes de Jean Giono

De quel Giono parlons-nous ? Voilà une question que l’on se pose souvent dès lors que l’on aborde son œuvre. Tant la profusion d’univers est palpable. Curieux de tout, Jean Giono a fait au moins trois fois le tour du monde… depuis son bureau. Lecteur affamé il a dévoré les guides, les récits de voyages, les planisphères et autres études ou revues (pas un National Geographic ne lui aura échappé). Son extraordinaire imagination complète les rares blancs. Et les mondes de Jean Giono se cristallisent sous nos yeux… C’est donc bien vers la référence seconde, indirecte – comme la nommait Pierre Ricœur – cette spécificité littéraire, qui dit le monde. Giono a sa propre vision du monde.
Le premier : le monde sensible et habité. Dès les années trente, Giono a l’ambition de faire entendre le chant du monde. Il écrit tous les jours. S’interroge sur le rapport de l’homme au monde naturel – de l’accord à la scission. Pour cela, il usera d’une approche phénoménologique, car il n’est pas de monde sans conscience. Le monde dit naturel serait-il ordinaire ? Ou, au contraire, porté vers la poésie, la spiritualité ?
Suivra le monde des orages, révélateur d’une communauté humaine. D’une vie en disparition lente, petit monde familier, troublant… De Virgile  à Colline – le premier roman – les divers microcosmes interagissent avec la Provence, mais n’enferme pas pour autant Giono dans un espace limité. Le voyageur immobile ouvre ses pages à d’autres univers. Ainsi le monde étranger qui verra ses autres livres se passer en Angleterre ou en Italie, dans la mer Noire voire l’Amérique qui incite Giono à engager un dialogue avec Henry Miller.
Le monde des fictions – spatial, sensible – engage le lecteur vers d’autres chemins avec des personnages fictifs (Noé), mêlant adroitement réalité et imagination. Giono exerce ainsi un pouvoir démiurgique, selon David Perrin, en prenant la place et le point de vue du Dieu Créateur parce qu’il est capable de faire vivre les pierres, les bêtes et les anges. Le monde de la musique est également très présent… Plus que la frontière entre l’un et l’autre, ce sont les failles, les points de passage menant de l’un à l’autre qui intéressent Giono.

Ces cahiers n’enferment nullement l’univers de Giono dans un monde clos que l’on prétendrait connaître une bonne fois. Au contraire, il suggère de multiples pistes qui devraient inciter à se plonger dans ses livres. Partir à la rencontre des cultures du monde dans toute leur diversité.

Annabelle Hautecontre

Collectif, Les mondes de Jean Giono, Les cahiers de la NRF, Gallimard, juin 2022, 312 p.-, 22€
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