Nelly Sachs : entre exode et métamorphose

Prix Nobel de littérature en 1966, Nelly Sachs est une poète de langue allemande exilée en Suède dès 1940. Une fois encore l’origine façonna le destin. Et ici l’œuvre. D’autant plus que la famille Sachs était plus qu’assimilée dans le Berlin de la fin du XIXe siècle. Née en 1891, Nelly Sachs se retrouva avec deux ennemis. Les nazis et les sionistes. Les premiers car elle était juive. Les seconds car elle appartenait à un milieu qui se voulait allemand avec d’être juif. Deux extrêmes qui s’allièrent avant de se détruire. N’oublions jamais les premiers accords secrets entre le Reich et l’Internationale sioniste qui militaient pour une séparation totale et définitive des deux races/peuples et niant toute cohabitation alors même que l’essence du judaïsme est d’être au cœur du monde et non isolé sur une terre promise
Le destin ayant opté pour le massacre des Innocents, Nelly Sachs orienta sa quête littéraire vers des desseins profondément marqués par la Shoah. Tout en gardant à l’esprit la justice humaine. Comme Darwich, elle supplia les survivants de ne pas sombrer. Le fait qu’elle ne migra point en Israël laisse deviner ses penchants politiques et spirituels. Et pour ceux qui ne comprendraient pas elle appela un chat un chat : Afin que les persécutés ne deviennent pas persécuteurs. Si avec un tel titre son poème – écrit entre 1947-48 – ne claquait pas dans le silence hypocrite de ceux qui prétendaient qu’Israël était une terre sans peuple pour un peuple sans terre, c’est alors que l’on ne voulait pas voir les Palestiniens :
Pas –
Ce ne sont plus ni le vol des oiseaux ni la vue des entrailles
ni Mars dans la sueur du sang
qui délivrèrent l’oracle de la mort –
mais des pas –

Nelly Sachs en sait quelque chose, des pas. Elle considère qu’elle (re)naît en 1940 en arrivant en Suède. Seuls compteront à ses yeux les poèmes et les drames en vers qu’elle va écrire pendant les trente années qui lui restent à vivre. Reprendre la parole après l’exode. Reprendre l’écriture après la marche. Ces pas qui mènent à une métamorphose. Ainsi, grâce à ce recueil, on parvient à embrasser l’ensemble de l’œuvre avec 4 livres fondamentaux. D’abord elle pleure ses morts. Puis la parole redevient prononçable dans cette langue maternelle si empreinte de malheurs. La violence de l’Histoire et le traumatisme du changement de vie libèrent une voix incandescente. Un cri face au scandale de la Shoah. Mais une voix qui réaffirmera l’humanité de l’homme après que l’humain fut nié de la manière la plus extrême.
D'abord publiée en RDA, Nelly Sachs bénéficia de la volonté des communistes de reconstruire la culture allemande, et vit tous ses livres imprimés à 20 000 exemplaires dès le premier tirage. Ce qui eut un retentissement immédiat. Quel poète, aujourd’hui, ne rêverait d’une telle mise en place ?
Un succès qui engendra quelques remous chez les critiques. Mais la force de l’œuvre s’imposa. Car elle n’a jamais fait de sa poésie une prophétie. Elle prépare à l’écoute de la parole des prophètes, nuance ! C’est là la mission proprement juive. Elle habite une blessure. Elle porte l’héritage de Jacob… Et si sa complicité épistolaire avec Paul Celan a conduit à les comparer, il n’en est rien. Nelly Sachs possède sa propre voix. Forte et émouvante.

Annabelle Hautecontre

Nelly Sachs, Exode et métamorphose, et autres poèmes, préface de Jean-Yves Masson, traduit de l’allemand par Mireille Gansel, Poésie/Gallimard, mars 2023, 416 p.-, 11,10 €

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