Maillol, les formes de la plénitude

Poétiques, authentiques, certaines scènes du film de Jean Lods où l’on voit Maillol muni d’un bâton, coiffé de son béret, sa longue barbe et ses cheveux blancs à peine agités par le vent, arpenter les collines du Roussillon sont inoubliables. Une fois rentré dans sa métairie qui est son atelier, il se met au travail, poursuit un dessin ou achève une sculpture. Il arrive à la fin de son existence mais tout en lui respire la sérénité, l’amour de la vie et de la nature, la sincérité, une atmosphère virgilienne.
Cette plénitude des origines vécue depuis toujours l’a marqué à jamais, elle signe ses œuvres, chaque volume de ses sculptures, dans leurs courbes et leurs arrondis, leur douceur lisse propre au corps féminin. Outre les Nabis dont il se sent proche et Antoine Bourdelle avec lequel il se lie d’amitié, il a pour ami de toujours Maurice Denis. Ce dernier disait que Maillol est un classique primitif. Une petite statue en bronze, exécutée vers 1900-1901, Eve à la pomme, annonce les magistrales statues à venir. La pureté, la clarté, la limpidité de son métier et de sa pensée, ce qu’il y a d’éternel en lui, pour reprendre les mots d’Octave Mirbeau, tout est déjà présent ici comme dans une totalité en attente de s’exprimer davantage.

Aristide Maillol, né en 1861 à Banyuls, a commencé tôt à dessiner au musée de Perpignan, s’initiant en même temps à la sculpture. En 1885, il est admis aux Beaux-arts de Paris, dans l’atelier de Cabanel. Le Salon de 1890 le fait connaître. Bien qu’abandonnée au profit de la sculpture, la carrière de peintre qu’il avait ambitionnée initialement lui aura beaucoup appris, car en plantant mon chevalet dans la nature, j’ai dû la regarder. Une nature que Maillol ne cessera d’admirer et dont il s’inspirera en permanence.
Il a également deux autres maîtres, Puvis de Chavannes et Gauguin. Les tableaux de ces années-là offrent au demeurant de belles recherches plastiques, des aplats suggestifs, un style évoquant le synthétisme, l’impressionnisme et le divisionnisme. Ces innovations sont manifestes de diverses manières, avant tout dans ses portraits en général de profil, alliant lumière, pureté de la ligne, finesse et harmonie des coloris, faible profondeur sans nulle perte d’expressivité (Jeune femme au chapeau, 1891 ; Femme à l’ombrelle, 1892).
Mais assez vite, se qualifiant de brodeur, il va à plusieurs reprises exposer ses tapisseries. Il aime ces matières qui lui donnent un réel plaisir et lui permettent de faire appel à ses multiples talents. Il excelle dans la taille du bois, la céramique, la broderie, la gravure et toutes ses études de nu au fusain ou au graphite qui remplissent ses carnets de croquis témoignent de sa virtuosité à saisir proportions, attitudes, volumes et les appliquer dans ses œuvres.

Le tournant décisif est donné par la sculpture. Nul ne compose comme Maillol un ensemble de chairs, la symétrie d’un torse et toutes ces sensuelles architectures où son imagination s’épanouit. Aucun romantisme, aucune littérature ne vient compliquer la vision de ces beaux  corps dont la sensualité naïve, la simplicité, la noblesse sans apprêt ont la saveur d’une eau fraîche et très pure: muses charnues et saines que leurs attitudes nonchalantes rapprochent de la Terre mère, écrit Maurice Denis en 1941.
Il suffit de laisser le regard suivre ces pièces la fois denses mais sans lourdeur que sont La Nuit, Méditerranée, Léda, Pomone ou encore L’Été (achetée avec deux autres par le collectionneur russe Ivan Morozov qui lui a commandé les Saisons) pour voir combien Maillol exalte l’équilibre et la dynamique des formes, permettant ainsi des effets de la lumière qui peuvent jouer entre eux. Privilégiant la pierre, qu’il aime plus que le marbre et le bronze,  il passe aisément du monumental aux petites tailles, des déesses puissantes qui dominent (L’Action enchaînée) aux baigneuses aériennes et aux jeunes filles gracieuses (Nymphes de la prairie,  Monument à Cézanne).
Après Clotilde Narcis, son épouse et son modèle, Maillol a eu pour muse Dina Vierny, rencontrée en 1934, modèle de près d’une vingtaine de statues, certaines visibles au jardin des Tuileries à Paris. Originaire de Moldavie, elle a fondé le musée Maillol dédié à faire rayonner l’œuvre de l’artiste. Maillol meurt en 1944, travaillant à une dernière statue, Harmonie, laissée inachevée. 
Après le musée d’Orsay et le Kunsthaus de Zurich, c’est au tour du musée de Roubaix, La Piscine, (jusqu’au 28 mai) de dérouler dans un ample parcours sculptures, peintures, gravures, dessins mais aussi céramiques, broderies et objets d’art décoratif, un parcours qu’accompagne ce superbe ouvrage.

Dominique Vergnon

Antoinette Le Normand-Romain, Ophélie Ferlier-Bouat (Sous la direction de.), Aristide Maillol, la quête de l’harmonie, 400 illustrations, 220x290 mm, Gallimard- Musée d’Orsay, avril 2022, 352 p.-, 45 €

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