Perfection vs désillusion

Le mieux est l’ennemi du bien. Parfois il faut savoir se contenter de ce que l’on a. Admettre l’inaccessible. Savoir attendre. Mais quand on a vingt ans c’est une utopie que l’on renvoie aux calendes grecques. Ainsi Anna et Tom décident de partir pour Berlin. L’Italie c’est has been pour des geeks. La vie digitale se passe donc ailleurs. Dans cette ville interlope qui rugit vingt-quatre heures par jour. Où tout le monde semble s’être donné rendez-vous. Créatifs et auto-entrepreneurs, ils vivent libres. Leurs clients sont partout mais essentiellement sur la côte Ouest américaine. Tout se passe derrière un écran. Donc on peut travailler partout et nulle part. La vie de bohème s’offre à eux. Pas d’horaire de bureau. Pas de patron. Des fêtes qui ne finissent jamais. Une réalité en quatre dimensions. De la drogue, des amis, des envies… Mais peu sexuelles. Ils baisent mal mais s’en accommodent. Pour eux c’est avant tout un style de vie. La nourriture bio. Le très grand appartement art-déco. Les plantes vertes…
Puis le temps passe, les amis partent, les hivers sont de plus en plus froids, le constat risque d’être amer passées quelques années à finalement tourner en rond. Ils redoutaient d’être contents parce qu’ils s’étaient contentés. Alors ils tentent de monter leur agence, gagner plus d’argent. Pour quoi, finalement ? Le client leur claque dans les doigts. Ils essaient alors une autre ville, Lisbonne, puis retour en Italie, mais la déconvenue s’impose. Fin des illusions.
Ils se surprendront à se demander quand une intelligence artificielle sera à même d’accomplir la majeure partie de leurs tâches. Ils se surprendront à se demander si ce sera fâcheux. Comment pouvaient-ils avoir choisi de passer leurs journées ainsi, courbés sur leur écran dans le salon de leur appartement ?
Révélation déclenchée par l’héritage d’un oncle. Une propriété dans le sud de l’Italie à retaper. Une maison d’hôtes née. Retour à la vraie vie, les mains dans la terre, dans l’organisation du site, dans les menus à préparer, etc.
Une belle écriture fluide et détaillée qui enlève le lecteur dès les premières pages pour le plonger dans ce drôle de monde digital. Un roman générationnel qui démontre combien se perdent ceux qui refusent de renoncer au seul attrait du numérique. La vie est ailleurs.

Annabelle Hautecontre

Vincenzo Latronico, Les perfections, traduit de l’italien par Romane Lafore, coll. Scribes, Gallimard, avril 2023, 170 p.-, 20€
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