La maison préservée : jeu de dupes ?

Rapidement un parallèle s’impose au fil des pages lues tant l’intemporalité du dessein frappe l’imaginaire. On se transpose alors de cette parenthèse au milieu de la Seconde Guerre mondiale – faudra-t-il bientôt la renommée Deuxième ? – vers une contemporanéité plus marquée par l’ambiance dévastatrice de Funny Games, le film de Michael Haneke. Dans les deux cas seul compte l’instant présent, l’absence totale de morale, la soumission absolue aux pulsions… Dans le livre d’Hermans, si le postulat de départ est une sorte de quête de l’impossible – survivre à la débâcle au milieu de la guerre en s'appropriant une maison abandonnée – il advient que l’instinct de survie se métamorphose en délire dès lors qu'il est confronté à ses limites. S'invite alors une forme de force supérieure qui autorise tout, fait peu de cas de la vie humaine, et déplace le Moi vers des abysses insoupçonnées. Le problème, c’est qu’on préfère devenir aveugle ou sourd plutôt qu’insensible. C’est à cause de pareils tours de passe-passe de rien du tout que le monde continue d’exister.
Mais pourquoi la barbarie à l’Est et l’entente au Sud ? Ce court roman qui serait plus une nouvelle dépeint la folie meurtrière d’un soldat pris à son propre mensonge et qui sombre plutôt que d’affronter le réel. On n’est pas loin non plus d’Orange mécanique. Mais justement, pourquoi continuer à être aveugle ? L’exemple de la guerre en Ukraine devrait nous imposer un questionnement : pourquoi depuis 2014 nous avons laissé faire ? Pourquoi la Suisse et l’Italie ont su s’entendre et pas l’Ukraine et la Russie ? Oui, en Suisse il existe une ville, Campione qui est restée rattachée à l’Italie ce qui a imposé tout en double (la langue, la monnaie, le code postal, l’indicatif téléphonique, etc.), un casse-tête administratif uniquement parce qu’une population refusait de perdre sa langue (comme au Donbass où les Ukrainiens voulaient continuer à parler russe), et personne ne s’est entretué, au contraire, on a parlementé pendant… des décennies, preuve que lorsque l’intelligence prévaut, la barbarie n’a pas sa place. Une leçon – et un livre – à offrir à notre Président pour lui rappeler ses devoirs avant qu’il ne nous entraîne dans une troisième guerre mondiale…

François Xavier

Willem Frederik Hermans, La maison préservée, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, coll. Du monde entier, Gallimard, mars 2023, 80 p.-, 12,50 €

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