Et si le roi était… une reine ?

Le roi des romanciers modernes est une femme, affirmait le plus sérieusement du monde Jules Janin, en 1839. Exit donc de son trône Balzac, qui venait de publier des Illusions perdues qui ne firent pas l’unanimité… Quand George Sand, dès son premier roman – Indiana, 1832 – rencontra la célébrité et le succès en librairie, qui se confirma au second tome – Lélia, 1833 – qui fit aussi scandale par la manière dont son héroïne affichait une révolte métaphysique, mais surtout par la façon très libre – pour l’époque – de traiter de la sexualité féminine. Quelques années plus tard, en 1837, paraîtra Mauprat, un roman familial, social, noir mais ouvrant aussi sur l’amour. Pauline (1841), qui traitera à la fois de la vie provinciale et de la vie d’artiste parisienne, sera suivi par Isidora (1846), deux titres très peu connus, mais qui démontrent combien George Sand possède un style hardi et porte en elle un regard réellement moderne.

Voici donc quinze romans réunis en deux tomes, dans la Pléiade, présentés pour l’essentiel dans un ordre chronologique : un simple aperçu, finalement, du talent de George Sand et de sa prodigieuse capacité à écrire car à la fin de sa vie, on dénombrera pas moins de… soixante-dix romans ! Un simple résumé, ici, alors, penseriez-vous ? Plutôt un coup de projecteur précis sur la cohérence des multiples talents de cette romancière de génie qui développe son art tout au long de son demi-siècle de production.
Sand au sommet donc, Sand adulée par ses pairs, Flaubert et… Balzac lui-même, écrivant, en 1844, à une amie, c’est sublime, un chef-d’œuvre, en parlant de Jeanne. Voilà donc une femme portant haut de nouveaux canons littéraires en offrant aux lecteurs du XIXe siècle une originalité, une séduction et une présence remarquée dans un milieu littéraire essentiellement masculin. Sa plume est tour à tour passionnée, énergique, calme, violente, amoureuse, écrivait Janin, par son esprit et par son imagination, elle a laissé bien loin tous les romanciers de notre époque. Et pas que ! Les niaiseries actuelles présentées tous les mois de septembre – dont certains reçoivent même des prix – font pâles figures face à une telle écriture…

Mais George Sand est une femme, et aujourd’hui encore les jurys d’agrégation lui préfèrent Stendhal, Balzac, Flaubert et Zola, lui refusant le rang qui est le sien (à quand un #GeorgeSandAgreg pour tuer le machisme qui gangrène l’université ?) ; sans doute est-elle trop dangereuse, féministe avant l’heure, trop belle et trop intelligente pour être adoubée par ces Messieurs (un peu comme Lou-Andréa Salomé) alors, qu’une fois encore, la leçon nous est donnée outre-Atlantique où (à l’instar d’un Michel Butor vénéré là-bas et ignoré ici) elle jouit d’un surcroît d’admiration, car elle incarne la femme qui a pu, a su, surmonter de haute lutte les barrières du genre. Démontrant de facto ce que l’on commence tout juste à intégrer dans nos petits esprits chagrins : le génie n’a pas de sexe !
 

Pour George Sand, l’écriture romanesque sera toujours une affaire de désir, d’un bon vouloir qui s’impose, de plaisir renouvelé à l’infini ; et d’amusement aussi, pour l’enfant qu’elle ne veut cesser d’être. C’est si amusant le roman ! confie-t-elle à Paul Meurice le 1er avril 1868 ; c’est le plaisir d’aller en avant, de pouvoir tourner à droite, de tenir dans ses mains la destinée des personnages que l’on connaît de toutes pièces, explique-t-elle à Alexandre Dumas fils…
C’est tellement facile pour elle, que l’écriture prend l’aspect d’une routine, tant elle s’y met avec régularité. Je fais mon petit roman de tous les ans, écrit-t-elle en 1869. Sand la Nothomb du XIXe siècle ? Certainement pas ! Plutôt une fausse modestie qui cacherait presque un complexe, elle qui se positionne comme un pauvre composé de poète et de peintre. Mais elle ambitionne de prendre une place, sa place, dans le monde des Lettres, car il faut aussi lui adjoindre à son œuvre complète, des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre, des essais et des récits de voyage. Ainsi, ne manie-t-elle pas les modulations que dans les types d’œuvres, car ses romans aussi portent en eux le fruit de ses changements de cap : elle compose sa palette romanesque en déployant successivement ses variations d’humeur, en se montrant attentive aux catégorisations que, roman après roman, lui infligent les critiques, de manière à les surprendre à chaque nouvelle parution…

Mais George Sand est avant une romancière engagée, elle dépeint un monde perverti en axant ses lumières sur la justice, la vérité, le travail mais surtout sur la charité, plus que l’égalité. S’il est un idéal qui traverse l’œuvre, c’est bien celui de la fraternité ! Avec, à chaque roman, des figures de femmes rayonnantes qui, par leurs actions plus encore que par leurs discours, se font les garantes d’un nouvel ordre social qu’expérimente un groupe de faibles dimensions dont elles sont l’âme, au sein d’une société globale, violente, inégalitaire et individualiste. Cela ne vous rappelle rien ? Sand met le fer dans la plaie. Elle fait peur, sans doute pour cela qu’elle est encore marginalisée. Une raison de plus pour la lire séance tenante.

 

François Xavier

 

George Sand, Romans tome I et tome II, édition de José-Luis Diaz, avec la collaboration d’Olivier Bara et de Brigitte Diaz, relié pleine peau sous coffret illustré, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade n°644 et 645, novembre 2019, 1936 & 1520 p.-, 67 € & 63 € (puis 72 € & 68 €) jusqu’au 31 mars 2020

Le tome I contient :
Chronologie (1804-1850), note sur la présente édition ; Indiana, Lélia, Mauprat, Pauline, Isidora, La Mare au Diable, François le Champi, La Petite Fadette ; notices et notes.
Le tome II contient :
Chronologie (1846-1876), avertissement ; Lucrezia Floriani, Le Château des Désertes, Les Maîtres sonneurs, Elle et lui, La Ville noire, Laura, Voyage dans le cristal, Nanon ; notices et notes.  

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