Georges Bataille : La Fascination du Mal de Pascal Louvrier.


 
En débutant la rédaction de cet article, je n’ai cessé de penser que j’aurais sans doute aimé qu’il y en ait au moins un pour jouer les entremetteurs, un passeur pour me guider, jeune adulte, vers la langue noire de G.Bataille. Un… ou une, peut-être, que j’aurais suivi, un sentiment d’exaltation et d’angoisse mêlées m’étrillant délicatement le ventre, jusqu’au fond des impasses les plus sordides, dans les basses villes des cités portuaires…ou simplement au cœur sombre de la langue de G.Bataille, au plus profond des nuits sales, tout espoir de rédemption laissé, là, sur le seuil d’une chambre à l’odeur âcre, une seule fenêtre aux menuiseries usées ouvrant sur un mur aveugle et décrépit, si proche que, le trop d’alcool aidant, je l’aurais craint dix fois s’abattant sur le lit aux ressorts grinçants où nous aurions atterris, elle et moi, muent par ce même élan sauvage et brut - indécente volupté que de pouvoir encore croire qu’on meurt ainsi, usé, plus seul que jamais, dans les bras d’un ou d’une autre dont on a catégoriquement refusé de connaître le nom - les yeux écarquillés, la queue dressée et le cœur vide…enfin…


Mais il n’en a pas été ainsi, non… La langue de Bataille je l’ai rencontrée après, par hasard, un jour de mai ou de juin 1991dans la lumière falote d’une fin de matinée longue et monotone - comme presque toutes à cette époque-là - ayant renoncé à marcher plus longtemps sur le bord de l’abîme, arpenté seul, démuni, expérience extrême que ces années sombres qui venaient de s’écouler, poison fourbe que je craignais alors inexpugnable, sang noir navigant en caillots dans un circuit veineux que je ne concevais que trop étroit pour supporter plus longtemps cet état et dont j’étais encore loin d’avoir su tirer les leçons.
Mais là encore, illusion entretenue, déchirée par le temps seul, on ne meurt qu’une seule fois, pour le reste, on survit, malgré soi, à presque tout, même au pire… Surtout au pire devrais-je écrire…


Écrire justement : La plupart des écrivains n’en ont pas conscience, mais je crois à cette culpabilité profonde. Écrire est tout de même tout le contraire de travailler. Voilà l’une des phrases, parmi tant d’autres qu’il m’aurait fallu extirper de l’œuvre de Bataille dès cette époque-là.  Écrire est tout de même tout le contraire de travailler. Georges Bataille a raison, mais, à l’instar de son ennami A.Breton, il est incapable de retranscrire après coup l’équation qui lui a permis d’en arriver là… Écrire est, en soi, une malédiction… La culpabilité, dès lors, n’a plus sa place dans l’énoncé, elle appartient à une autre équation, plus sombre et plus complexe sans doute, mais incontestablement autre


Comme cette image du père impotent, abandonné à son sort sur son fauteuil roulant bien des années plus tôt et qui ne cessera de le poursuivre sa vie durant. Coupable ! Georges Bataille l’est, il le sait mieux que quiconque, mieux surtout que tous ces nains, bouchers aux mains tâchées de sang qui ne cesseront de le harceler, cachés derrière leurs masques d’impuissants et de lâches, le vouant aux pires gémonies en déniant d’un revers de leurs mains molles et poisseuses « La marée montante du meurtre » qu’ils auront, si ce n’est provoqué, tout au moins refusé d’endiguer malgré les hurlements de G.Bataille qui sait, lui, dès 1936, ce qui est en train d’advenir…
« Coupable de combattre sa part chrétienne, tout en la préservant pour mieux jouir de ces actes sales ; coupable d’être un débauché tout en regrettant, comme une « terre promise », l’ascèse. Fascinante culpabilité. Fascinantes contradictions… » écrit Pascal Louvrier qui colle à son sujet au péril de lui-même. Tel est le risque indispensable qu’il faut être prêt à prendre pour dire Bataille sans le trahir. En savoir quelque chose, jusque dans les plus petites parcelles de sa propre chair, expérience sans limite, éprouvante, nécessaire, pour que s’éclaire l’œuvre colossal de ce répudié définitif… « Pour cela il faut avoir l’audace d’écrire ventre nu et cul nu ». Oui, sans doute et Pascal Louvrier à cette audace… Pour défendre encore et encore l’écrivain qui a toujours refusé de se résigner à : L’universelle confusion qui maintenant fait de la pensée même un oubli, une sottise, un aboiement de chien dans l’église, comme il l’écrivit à R.Char.


Ce même écrivain (G.Bataille) auquel A.Artaud,  depuis Rodez, après avoir lu L ‘expérience intérieure, conseillera à mots brûlants, de « revenir à Dieu ».


Cet écrivain qui aura mis son corps au service de l’expérience, tripes sur la table d’écriture, parce que tel est le prix, ce même prix que Pascal Louvrier a pris le risque de payer pour défendre celui dont le seul enjeu fut de mettre : Le Mal en pleine Lumière. Non pour que le monde s’y noie, mais pour qu’il s’en extirpe… L’un des rares écrivains dont on peut dire effectivement qu’il fut un écrivain engagé, ad litteram.
 
Lire Bataille pour revenir à Breton débarrassé de la naïveté dangereuse et des  illusions assassines qui polluent le monde de leurs concrétions empoisonnées, et qu’entretiennent, avec force rage, les tenants hygiénistes du nouvel ordre social… Savoir lire Georges bataille (et quelques autres) savoir lire, enfin, pour pouvoir rire aux éclats sous une pluie d’orage et échapper à la pesanteur du monde qui vit désormais sous le règne de l’économie politique… « L’économie politique, c’est le règne de la mort. Voilà. Voilà, ça vous va Louvrier (rires) ?!. » (Ph.Sollers)


Mais Pascal Louvrier s’interroge, il est inquiet, sera-t-il possible de trouver de jeunes lecteurs capables de le lire ? N’est-ce pas là, la tâche la plus difficile ?
Peut-être, à moins que ces jeunes lecteurs n’aient tiré les leçons de quelques maîtres, et qu’ils n’aient décidé de désapparaître, de glisser discrètement entre les lignes, entre les éléments, solitaires endurcis au cœur des villes, marcheurs impénitents le visage tourné vers le Sud, ayant fait au plus juste l’état des lieux, et s’armant donc, patiemment,  pour mener au mieux La Guerre secrète qui s’impose…
 
Georges Bataille, La fascination du mal. Pascal ouvrier, éditions du Rocher 2008.


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