Georges Didi-Huberman emporté par les vagues de Hugo

Dans un travail de naissance et de mort immense et minutieux de "tribulations de la physionomie du mystère" comme l'écrivit déjà Baudelaire, Hugo a créé des marines qui – toujours selon l'auteur des Fleurs du Mal - sont inégalables car tout "se meut dans l'immense".
La forme de l'informe absorbe l'extériorité pour un vertige des coordonnées spatiales et visuelles. Existe une météorologie intérieure non mesurable sinon par la vague là où la nuit comme l'eau remue. Les formes décalées et biomorphiques font de Hugo le travailleur de la mer. Il devient jouet de ses flots dont il perce les poches d'ombres de l'encre par la gouache blanche.

Existe là un "anthropomorphisme abstrait" (Warburg) qui annonce Michaux. Et Hugo reste le philosophe des formes. La picturalité comme l'écriture "fait fuser les images" rappelle Didi-Huberman. Le défi du Hugo scripteur donc est emporté plus loin par l'élan des dessins et les "baisers frénétiques de ses vagues" sur les rochers dans une hystérie de la nature dont toute la série des "Ninfa" de l'auteur est un rappel initié par Warburg et en hommage à lui.
Son héritier signale que chez Hugo les contours n'existent plus dans des collections "d'accessoires en mouvement" de diverses draperies. Elles ont beaucoup à voir avec le désir et des odalisques. La peinture d'Hugo face à l'accablement et la lamentation est un insurrection du désir.

L'image devient endoscopique, elle rentre en dessous du monde, et – précise Didi-Huberman – "dans la joie profonde de l'abîme" pour faire émerger de dessous la mer l'écueil ou la sirène puisque selon l'auteur nous tombons dans la mer comme dans la femme. Ce qui ne veut pas forcément dire qu'il s'agit d'y sombrer. Mais nul ne peut s'en passer même si peu sont capables d'y apaiser leurs symptômes de "sainthommes" (Lacan).

Jean-Paull Gavard-Perret

Georges Didi-Huberman, Ninfa profunda – Essai sur le drapé-tourmente, 41 illustrations couleur, Gallimard, coll. « Art et artistes », avril 2017, 150 p. – 19 €
Prix La Bruyère de l'Académie française 2018

Lire aussi la chronique de François Xavier, parue en juin 2017

 

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