Feydeau entre vaudeville et "absurdie"

Dramaturge volontairement "sans" langue – puisqu'il la remit à ses personnages – Feydeau donna la dimension comique  comme unité de mesure du monde  bourgeois. En fonction de cela, la langue et la thématique de ses pièces peuvent paraître au ras du sol, mais c'est le moyen de montrer la défectuosité de la vie en une époque qui–- sans le savoir ou non et comme la nôtre – dégénérait.

L’insignifiance des personnages et de leur existence relie étroitement l’auteur à son temps. Certes les titres sont trompeurs : Mais n'te promène donc pas toute nue refuse l’obscénité frontale. Mais le gag nul voire la zuterie scatologique reste un moyen de créer une provocation comique en écho à la société décrite.

Toutes les répliques s’enchaînent dans un langage vif et incisif. Par son prosaïsme, Feydeau lance, contre l’usure de la littérature académique du temps et idéalisante des assauts à la fois drolatiques et sourdement désespérés.

L'auteur déforme les situations et remet en  forme dramatique un français souvent ramené à sa plus simple expression :  trivialisé, infantilisé, rabaissé il est paradoxalement relevé car comiquement revivifié. C’est parfois la langue de ceux qui sont contraints de parler le français codé sans l’avoir jamais appris de façon systématique. 

L’effet de cette langue parfois lexicalement sommaire, grammaticalement fautive est d’abord comique par le babil confus de ceux qui menacent le contrat indissolublement social et verbal.
La rapidité des dialogues impose une langue concise et rapide, marquée d’insistantes traces d’oralité. Elle résiste à tout ce qui fait couramment le langage : l’ornement, l’imagerie, le maniérisme rhétorique, la mélodie élégamment subjective.

Ce théâtre bourgeois gronde parfois  d’une violence sourde. Comme s’il fallait aller au bout d’un certain épuisement du langage quotidien pour faire dire à une bad comedy dégagée de toute esthétisation sublimée, l’inadéquation des êtres imprudents ou "dindons" au sein d'une jubilation clownesque de la  verve comique. 
Mais les personnages de l'auteur ne sont jamais des fantoches il garde tous une personnalité qui les renvoient à des situations certes burlesques mais qui pourraient facilement tomber dans le tragique.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Feydeau, Théâtre, édition de Violaine Heyraud, coll. La Pléiade n°662, Gallimard, novembre, 2021, 1776 p.-, 69 €
Ce volume contient :
Tailleur pour dames - Chat en poche - Monsieur chasse ! - Le système Ribadier - Un fil à la patte - L'Hôtel du libre-échange - Le Dindon - La dame de chez Maxim - La puce à l'oreille - Occupe-toi d'Amélie ! - Feu la mère de Madame - On purge bébé ! - "Mais n'te promène donc pas toute nue !"

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