Gérard Titus-Carmel et le miroir de l'étranger qui est soi-même

Ajours échappe au genre auquel il est sensé appartenir : à savoir le journal intime. Et ce pour une raison majeure : son écriture l'emporte sur la vie. Ou si nous voulons être trop triviaux car approximatifs, le contenant déborde le contenu.

Georges Titus-Carmel renverse les règles de l'autobiographie et du langage admis. Ce faux journal où sont repris parfois des laps écrits jadis, devient, dit l'auteur, la matière d'un "rêve" autobiographique. Son écriture dura deux ans. Et cela est plus que plausible. Ces 750 pages l'auteur y consacra l'espace et le temps nécessaires pour le mener à bien.

Il commença ou finit par éprouver une certaine sympathie pour le petit drôle dont je révélais la suite des aventures. Pour autant cette exhumation nécessitait tout un dispositif afin de le rendre plus fiable. Et ce en des moments choisis où sont évoqués les instants de temps créatifs comme de nombreuses rencontres tous azimuts où se retrouvent Mandiargues, Segui, Templon et tant d'autres au sein de divers lieux et situations décrits avec précision poétique.
Car si tout débute par des photos retrouvées de l'enfance, celui qui la parle n'est apparemment plus le petit bichon mélancolique qu'on voit sur les images. Il est désormais peintre et écrivain. Il devint le chroniqueur de qui il fut jadis et naguère. Néanmoins dans ce différé il reste le même. Et c'est ce qui fait la puissance d'un tel livre.

L'aventure de son approche passe par la mise en doute du scripteur lui-même afin d'éviter les "erreurs" d'un Rousseau ou d'un Chateaubriand. Car ici la présence ou la possibilité de la vérité  passe par ce que l'écriture engage : l'épuisante passation de pouvoir dans un travail de fouille qui conjugue deux temps : le passé et le présent.
Seul un véritable écrivain est capable d'une telle entreprise. Et Titus-Carmel en est un. Il l'a prouvé en tant que poète et théoricien de l'art. Son écriture s'accorde à un effort de creusement et de "creux-action" qui doit mener de concert la preuve et l'intuition.

L'auteur, dans cet apparent travail du je, se transforme en objet de fiction. Et c'est le moyen de faire sauter les verrous d'un prétendu miroir où le comment dire n'est souvent qu'un comment ne pas dire. D'où ce portait qui – quoique "a specchio" – donne du sens et un fléchage à une vie dont l'auteur a réussi à sortir de certains méandres pour se sauver
Et c'est autant une belle leçon de vie que d'écriture. 
À lire absolument.


Jean-Paul Gavard-Perret

Gérard Titus-Carmel, Ajours – Un rêve autobiographique, coll. Littérature, L’Atelier contemporain, septembre 2021, 784 p.-, 25 € 

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