Les Circé de Berquet

Rassurons nous d’emblée : selon Berquet les invités de Circé, dès qu’ils « boivent » ses images, ne seront pas changés en pourceaux ni enfermés dans les étables de l’enchanteresse. Le photographe  lui fait non seulement une mais quatre fleurs blanches plutôt que de - tel Ulysse - tirer son épée et se jeter sur elle. On se sait si à l’inverse elle lui propose de partager son lit… Mais là n’est pas la question.  Le photographe s’empare de son apparence humaine pour en faire aussi une sirène voire une de ces nymphes métamorphosées que furent Charybde et Scylla. Toujours est-il que ces quatre « modèles » ne sont inquiétants que pour les puritains.

 

Ils voient dans leur corps une lettre écarlate.  Et force est de constater que les  Circé font de leur apparence une arme redoutable. Elle est renforcée par les prises et scénarisations du photographe. Il les métamorphose en travaillant leurs poses et leurs gestes « impies » pour donner à chaque égérie la fascination  de son corps et la crainte qu’il inspire. Les deux sont animées ici d’une démesure astucieusement « mesurée ». Les photographies échappent ainsi à ce que tout  mâle souhaite inconsciemment : que tout rentre dans l’ordre, du moins dans un ordre éminemment masculin et fidèle à sa propre fantasmagorie. Berquet à l’inverse se met en servitude volontaire face à des foyers incandescents où l’éros au féminin  n’est plus de l’essence nocturne entérinée par Freud mais un don de soi positif et lumineux de la subjectivité d’Eve en quête de son propre plaisir.


 Jean-Paul Gavard-Perret


Gilles Berquet, « Photographies numériques signées – 4 modèles », Editions de la Salle de Bains, Rouen, 2014, 250 €

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