L'ère des suspects

Dans une banlieue perdue, la « cité noire de Versières », un adolescent  d'origine maghrébine apparemment sans histoires est retrouvé mort, près d'une voie de RER.
Très vite, un jeune policier est suspecté de l'avoir poursuivi et acculé. C'est déjà arrivé. Il ne serait pas le premier à être mort en fuyant la police dit-on entre les barres d'immeubles. 
Mais les choses ne sont pas aussi simples : l'ado modèle ne l'était pas tant que ça et sa mère, forcément éplorée est loin d'être une pauvre femme dissimulée sous un voile : elle possède une agence de voyages qui fonctionne plutôt bien. De même, les personnages-clé de la cité dont Hassan Saïdi, un grand frère,  beau comme un Dieu, médiateur torturé, qui a ses entrées à la mairie n'est pas la brute archaïque que l'on pourrait imaginer et cache bien des secrets.

Dans L’ère des suspects, faux polar, vrai feuilleton à la Zola, tout le monde a sa part d'ombre, ses calculs, ses plans de carrière, ses mensonges. Tout le monde, dans toutes les sphères, manipule, ment selon ses intérêts.
À la grande question, faut-il médiatiser ou étouffer l'affaire, chacun répond en fonction des avantages qu'il peut espérer et ils diffèrent sensiblement selon sa place dans l’organigramme social. Florence de Savay, une directrice de cabinet, Emmanuel Daval, un policier, Danièle Bouyx, une stagiaire des beaux quartiers, Hassan Saïdi, Guillaume Vincourt, rédacteur en chef d'un magazine qui ressemble furieusement à Paris-Match n'ont en effet pas grand-chose en commun, sinon l'espoir de se tirer de ce marasme en y laissant le moins de plumes possible.  

Gilles Martin-Chauffier donne la parole à tous les protagonistes qui s'expriment à la première personne dans de courts chapitres. Tous décrivent  une France « périphérique » plus complexe qu'elle n'y paraît ; une banlieue observée par, d'un côté les politiques franchement perdus et déstabilisés, enchaînant les lieux-communs et les maladresses, de l'autre, les habitants de la cité, souvent désorientés. 
L'État des lieux esquissé par l'auteur quelques mois après l'affaire Benalla est contrasté, parfois drôle, parfois désespéré, vivant et au final plein d'espoir. Si l'histoire de l'intégration est parfois chahutée, toujours complexe, riche d'épopées diverses, elle est en marche et Gilles Martin-Chauffier s'en fait le chroniqueur ironique et éclairé.

Brigit Bontour

Gilles Martin-Chauffier, L'Ère des suspects, Grasset, août 2018, 285p. ; 19,50 €
Présent dans la sélection du Prix Renaudot 2018

 

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