Interview. Gilles Paris, le romancier qui ne voulait pas grandir
Le petit Victor Beauregard passe tous ses étés depuis cinq ans dans une résidence de la Côte, héritée d'une tante dont il ne connaît rien. Son père, resté un éternel enfant, n'y vient jamais, et l'été se passe pour Victor avec sa soeur, sa maman, sa deuxième maman et son copain Gaspard. Mais cet été-là, celui qui verra le retour des lucioles dans les jardins de la résidence, ne sera pas comme les autres, la magie opérera et Victor va rencontrer son incroyable destin - tout petit et modeste mais tellement humain. L'Eté des Lucioles est un roman très attachant, d'une beauté naïve et magique, par laquelle Gilles Paris nous convie à vivre cette grande aventure dans la peau d'un enfant de neuf ans. Rencontre avec celui qui nous montre combien il est doux de ne pas trop grandir.
Vous publiez un roman dans lequel c'est encore un enfant le narrateur. Vous êtes comme Peter Pan vous refusez de grandir ?
Je n’ai pas le syndrome Peter Pan, mais il me fascine. La vie professionnelle que je mène m’oblige à grandir chaque jour, à apprendre toujours un peu plus, comme la définition qu’en ferait Victor, le narrateur, dans L’été des lucioles : “Et si grandir c’était essayer de rendre sa vie meilleure jour après jour?” Je rêve d’une vie plus insouciante, plus légère, comme un enfant qui refuserait de grandir, mais cela a aussi ses avantages! Je n’ai aucune frustration, car je m’émerveille souvent de petites choses dans le quotidien et j’ai un point commun avec mes narrateurs : j’au du mal à juger les gens. J’essaye de les comprendre. Je m’emploie aussi à éviter tout ce qui pourrait m’empêcher de grandir comme le ressens Victor; toutes ces mauvaises ondes que l’on ressent parfois face à des individus qui par le poids de leur souffrance tentent de vous enfoncer sous terre. Ecouter, oui, mais surtout ne pas être le témoin d’un abandon de l’autre qui se satisferait de ses moindres maux. Nous manquons trop de légèreté, souvent englués par nos problèmes aussi embarrassants soient-ils et il n’est pas si facile de prendre un peu de distance ou de hauteur dans une vie, hélas, trop courte. Ce qui est certain, c’est que je refuse de grandir, face à des gens qui se prennent trop au sérieux!
Est-ce plus simple de parler des problèmes des "grandes personnes" (divorce, homosexualité, crise d'adolescence de sa fille, etc.) par le regard d'un garçon de 9 ans ?
Oui, assurément, car cela donne une distance nécessaire pour dédramatiser les sujets. Je déteste le pathos et la lourdeur, l’apitoiement et l’indifférence dans l’écoute. Le regard de l’enfant est innocent, il cherche à comprendre. Par ses mots, on arrive à sourire des choses graves et grâce à cela on les accepte davantage. Voire on les comprend mieux, il me semble. Dites à un enfant : Papa et maman sont morts, par exemple (le titre de mon premier roman). La réaction sera très différente que celle d’un adulte. Car l’idée même de se retrouver en première ligne à de quoi nous effrayer tous, ou presque. L’enfant, lui, sourie. La mort est abstraite. Sauf si, bien sûr, il a perdu un proche et encore. Quand je travaillais Autobiographie d’une Courgette avec un juge pour enfants, ce dernier me disait que, souvent, lorsqu’un enfant tuait l’un de ses parents, il continuait de parler de lui au présent, sans tout à fait comprendre son acte. L’enfance n’est pas non plus un grand sac dans lequel on peut jeter pèle-mêle tous les maux de la terre pour faire réagir le lecteur. Ce ne doit pas être un prétexte au bouillonnement de l’époque. J’ai reçu beaucoup de lettres suite à la publication de Au pays des kangourous qui évoquait la dépression d’un père via son fils Simon. Ecrire un roman léger sur ce thème était improbable. La dépression est un sujet anxiogène, tabou, dont on parle peu. C’est une maladie qui dérange. Et pourtant la France est le pays en Europe le plus consommateur d’anti-dépresseurs et d’anxiolytiques. On avale un Lexomil comme un Haribo ou presque. Les parents ont du mal à expliquer la maladie aux enfants, en général. J’ai choisi des mots simples, des images narrées par une petite autiste qui va éveiller la conscience de Simon, 9 ans, et lui permettre de comprendre ce qu’est cette maladie. Oui, le langage poétique et accessible à tous de l’enfance permet de mieux comprendre les problèmes des grandes personnes. Et les lettres reçues le disaient superbement.
C’est aussi un très bon médium pour faire entrer le lecteur dans un monde de magie ?
Victor, en effet, ressent certaines vibrations, tout comme moi en fait. J’avais une grand-mère médium qui m’a peut-être transmis cela et c’est un thème qui me fascine car il ne relève pas de l’explicable. On peut bien sûr parler d’intuition, certains êtres en ont à revendre. Mais en ce qui nous concerne, Victor et moi, j’ai l’impression que cela dépasse l’intuition. C’est étrange de ne quasi jamais se tromper sur une personne qui vous fait face pour la première fois... De finir les phrases dans votre tête que votre interlocuteur prononce devant vous. Et parfois de rêver à des événements qui se déroulent exactement de la même manière dans la réalité. C’est aussi et certainement une porte qui pourrait s’entrouvrir vers un monde inconnu, mystérieux et rassurant. Oui, rassurant. La vie sans magie, dit Victor à la fin du livre, c’est juste la vie. A chacun d’entre nous d’en mettre un peu...
Il y a une référence discrète au Petit Prince dans votre roman. Quel importance à ce texte pour vous ?
Je suis, comme beaucoup de lecteur, fasciné par ce livre qui ne vieillira jamais. Dans l’amitié je pense souvent au Renard et au Petit Prince : s’apprivoiser pour mieux se connaitre. C’est devenu une devise pour moi.
Le petit Victor a une relation très particulière avec sa grande sœur, très fusionnelle et distante à la fois. Quelle vérité naît des secrets d'une fratrie comme celle-ci ?
La distance, je pense, tient à leur différence d’âge. Victor a 9 ans, Alicia 14. Une adolescente fugueuse qui courre après les garçons, boit bière et whisky, et passe sa vie à faire des textos, mais une sœur qui raconte certains secrets à son frère et qui va s’avérer beaucoup plus romanesque que l’image qu’elle donne au début du roman. Les adolescents sont beaucoup plus complexes à définir, car plus changeants. Alicia est capable de maltraiter son frère, de mal lui parler, puis l’instant d’après d’être sa complice. Sa véritable obsession est de trouver le bon garçon. Quand elle y arrive dans le roman, elle devient toute autre. Mature, tendre, moins incertaine. Elle aide, en partie, son frère à résoudre le mystère du roman. J’ai une sœur qui a deux ans de plus que moi, l’écart n’est pas aussi fort qu’entre Victor et Alicia. Mais j’ai cherché des moments que nous partagions plus jeunes, à la fois légers et drôles comme la bataille d’oreiller, ou quand nous nous sommes confiés nos premiers secrets. Il n’était pas question de le faire avec qui que ce soit d’autre.
Ce roman est celui d’un apprentissage, d’une métamorphose. Les papillons sont là pour nous le signaler ?
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