Écrivain italien (1927-1987) fut poète, romancier, journaliste, nouvelliste, scénariste, critique littéraire et journaliste sportif. 

Une âme perdue, le désapprentissage selon Giovanni Arpino

Orphelin, Tino quitte son pensionnat pour passer son bac, et entrer littéralement dans l’âge adulte — le baccalauréat se dit « maturité » en italien. Il passe quelques jours à Turin, non pas le centre industriel et vivant auquel il rêvait, mais dans une rue paisible chez sa tante Gala et son oncle Serafino, qu’on appelle toujours de son titre d’ingénieur. Sitôt installé, Tino subit les confidences de la bonne, Anetta, qui le pousse à découvrir par lui-même que la maison a un secret…


Le professeur, frère jumeau de l’ingénieur, vit reclus à l’étage depuis son retour d’Afrique, sans sortir ni communiquer, dépendant de l’ingénieur. Plus qu’un malade à demeure, le professeur est à lui seul tout un monde qui organise la maisonnée par sa seule présence/absence. La petite pièce dont il ne sort jamais est comme le centre du monde, c'est de là que tout prend son sens, et c'est de là que naît l'angoisse de Tino, pesanteur existentielle difficile à appréhender pour un jeune homme tout juste sorti de l'internat.

La maison va exercer une influence néfaste sur Tino, une constante oppression, propre à réveiller en lui les cauchemars qui devraient disparaître avec ses dix-sept ans… D’abord les rondeurs de la tante, comme une bonbonnière, lui font un havre de féminité provinciale bien reposant, mais cela ne suffira pas à masquer son appréhension, puis l’emprise de ce secret qui vite l’obsède au point de le détourner de ses révisions. Qu’y a-t-il de particulier avec le professeur ? Pourquoi l’ingénieur semble se comporter avec retenue et préférer vivre pour son frère que pour lui-même ? 


Giovanni Arpino ne cède rien à la facilité d’un petit conte moral, il impose rapidement une gène qui ne se résoudra pas quand tous les fils seront tissés et que le secret — que l’on devine assez tôt, mais pas dans toute sa dimension psychologique —, sera dévoilé. Par petites touches, sans insister, Arpino nous englue dans un malaise de plus en plus lourd et tenace, et nous ressentons avec Tino qu’il y a un hiatus entre le réel et la vie dans cette maison. Bien plus, c’est par les sujets d’examen de Tino qu’Arpino nous donne les clés de son texte, en passant, citant Sénèque ou Leopardi, mettant enfin tout de la culture et du raffinement au service du mal qui s’insinue. Car l’ingénieur, qui parle souvent par citations, est à la fois d’une grande érudition, d’une grande élégance, et cupide, joueur, menteur… 

Un roman d’apprentissage, ou autrement appelé roman de formation, offre au personnage de passer les étapes d’un apprentissage de vie pour entrer dans le monde adulte. Il y a des souffrances et des beautés, des déceptions et des découvertes, mais il y a surtout l’entrée dans un monde qui s’offre complètement. Ici, ce qu’Arpino a réussi à faire, c’est d’enfermer son personnage dans une gangue qui sera le rempart infini entre le monde réel et sa perception. Il a perdu toute naïveté, toute spontanéité, il ne pourra plus jamais sortir de cette maison, à l’image du professeur, quel qu’il soit.


Loïc Di Stefano


Le roman de Giovanni Arpino a été adapté au cinéma en 1976 par Dino Risi, avec Vittorio Gassman et Catherine Deneuve, voir le détail ICI. 

Giovanni Arpino, Une âme perdue, Belfond, septembre 2009, 136 pages, 17 euros
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