Arpenter les espaces

D’ancienne origine gauloise semble-t-il, utilisé dans les provinces françaises mais aussi au Québec, en Louisiane, dans le Missouri et quelques autres États américains sous le nom de french acre, l’arpent était jadis l’unité par excellence de mesure d’une surface. Le verbe qui en dérive signifie donc mesurer mais aussi parcourir. Il est à cet égard l’apanage des membres de la vénérable Société de Géographie, avides de remplir le blanc des cartes.
Car pour eux, cheminer c’est aussi découvrir, sillonner implique écrire, mieux encore explorer signifie décrire. La Société de Géographie fête ses deux ans et ceux qui l’ont faite au long de son histoire.

Fait rare en effet, géographie et histoire se retrouvent unies dans une seule institution, en d’autres termes quand l’histoire d’une organisation qui entend concourir aux progrès de la géographie et étudier le monde s’appuie sur les savoirs de ceux qui le visitent. Comme si l’horizontalité de notre terre qu’arpentèrent Dumont d’Urville, René Caillié, Savorgnan de Brazza, Charcot, Paul-Emile Victor, Albert Picard, Claude Lévi-Strauss, Charles de Foucault, Vidal de la Blache, Cousteau et tant d’autres, sans mentionner ces grands explorateurs étrangers des forêts équatoriales, des glaces, du ciel que furent Stanley, Livingstone, Amundsen, Lindbergh, croisait depuis deux siècles la verticalité des publications scientifiques qui en s’additionnant, donnent à la Socgeo une autorité reconnue parmi les autres sociétés équivalentes.

 

La lecture de cet ouvrage le confirme, c‘est bien cette double dimension qui, en les soumettant à la durée et à l’espace, règle la vie des humains. Jacques Gonzales, le Secrétaire général, les relate ici avec la rigueur d’un médecin et le talent d’un écrivain. Professeur de biologie, il a voyagé et enseigné au Maroc, en Mauritanie, au Vietnam, en Égypte, au Japon, aux États-Unis. Il sait ce que sont les exigences de la science et les impératifs des grands voyages.
En guide averti, il invite le lecteur à entrer dans la magnifique odyssée de cette société savante qui a compté parmi ses présidents des noms prestigieux, expérimentés dans leurs domaines, que ce soit les mathématiques, le naturalisme, la littérature, la politique, la diplomatie, l’ethnographie, la cartographie, la photographie, qu’ils se nomment Laplace, Chateaubriand, Guizot, Ferdinand de Lesseps, Auguste Himly, Roger Blais, tous pionniers autant que fondateurs poussés par le désir de connaître et le goût de transmettre.

Le patrimoine conservé par la société témoigne du rôle joué par ces disciplines. On ne peut qu’être attentif aux progrès des techniques et admiratif de l’évolution des méthodes d’approche du globe, des pôles à l’équateur, des déserts aux océans, de l’herbier à l’avion propulsé par l’énergie solaire. Ainsi, le respectable stadiomètre, en son temps précieux instrument de mesure, a cédé la place aux logiciels modernes qui contrôlent les phénomènes terrestres.
De même, la photographie aérienne a-t-elle pris le relais de l’album où Maxime du Camp alignait ses élégants clichés pris lors de son voyage en Égypte en 1849.

Les illustrations, souvent rares, éclairent ces conquêtes bénéfiques autant que pacifiques. Un tableau de Nicolas-André Monsiau datant de 1817 montre Louis XVI expliquant à La Pérouse à l’aide d’une grande carte le contexte de l’exploration du Pacifique où Cook avait effectué une première expédition tandis qu’une lithographie représente Humboldt assis sur une petite chaise notant à la plume les résultats de ses observations avec à ses côtés des cartons scellés contenant les résultats de ses recherches.
Une gravure évoque cette ambiance sérieuse, studieuse, conviviale d’une conférence tenue en 1885 au siège de la Société. Des frégates qui cinglent vers l’Extrême Orient aux pirogues qui descendent le Yang Tsé-Kiang, des reconnaissances dans le désert à dos de chameau à la soucoupe plongeante de l’ingénieur Jean Mollard, ces approches dressent le portrait des diversités sociales existantes, des monuments, de la faune et la flore.

En six chapitres et six dates, l’auteur rappelle que la géographie est une discipline de convergence à mettre au service de l’action. À l’heure où les fragilités de notre planète se révèlent plus évidentes que jamais, la parcourir est une manière de saisir davantage les phénomènes qui nous environnent et de décider des options à prendre pour mieux la protéger.

Dominique Vergnon

Jacques Gonzales, Décrire la terre, écrire le monde, 300 illustrations, 217 x 295 mm, coédition Glénat-La Société de Géographie, novembre 2021, 272 p.-, 45 €

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