Elvire de Brissac, La corde et le vent : La formule heureuse

Le style : non seulement Elvire de Brissac écrit en français, ce qui se fait rare, mais dont on ne s’étonnera pas, vu son nom, mais encore, ça claque. « J’avais la gouaille au corps », écrit-elle ; oui, et au bec. Ses personnages ont la formule heureuse ; par exemple, quand son père se retire du monde après la mort de sa femme, elle lui en demande la raison : « Il me répondit : Pour la suivre des yeux. »

 

Donc, ces pages se lisent comme on déguste une grande bouteille : à petites gorgées et jusqu’au bout. Et l’histoire ? On s’y perd : ce serait en théorie celle d’une femme née au confluent de deux familles aux noms de fantaisie, Boussoglou et Chachazeva (non, pas Chavchavadzé), mais elle ne dupe personne, elle a d’ailleurs prévenu d’emblée qu’elle allait mentir, comme Lucien de Samosate au seuil de son Histoire vraie : à l’évidence, cela lui permet de dire sa vérité. Un quotidien l’a révélée : elle a eu deux pères, dont l’un est Paul Morand. Ce qui donnerait à penser que le style est héréditaire, mais passons.

 

Elle ne dissimule pas qu’elle est née dans du beau linge : les personnages voyagent dans l’Orient Express, conduisent des Rolls, s’habillent chez Old England, et d’une page l’autre, on ne sait plus où l’on est, en Angleterre, en Guadeloupe, en Chine, à Moscou… La conteuse aussi a beaucoup voyagé, elle était journaliste dans ce qu’il est convenu d’appeler « un grand journal du soir » (comme s’il y en avait plusieurs !). On revit en passant l’attentat du Petit Clamart contre De Gaulle, puis Mai 68, et l’on revoit « celui qui incarne la mode, ces années-là, ce grand échalas qui pose nu sur tous les panneaux publicitaires de la capitale ».

 

Presbyte du cœur, l’auteur voit tout de loin, même sa vie. L’existence n’est pour elle que « l’action contrariée de la corde et du vent ». Une expression de navigatrice. Quand elle daigne décrire, c’est magistral : « L’hiver est vide, pendu aux arbres morts… »

 

À la dernière page, on se dit qu’on a passé la soirée avec une dame qui serait née avant 1789 et qui se ferait une raison des mauvaises manières de l’Empire.

 

Gerald Messadié

 

Elvire de Brissac, La corde et le vent, Grasset, janvier 2014, 215 pages, 17 €

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