"La Nouvelle vie d’Arsène Lupin", si loin du vrai gentleman

Gentleman cambriolé

 

La Nouvelle vie d’Arsène Lupin proposée par Adrien Goetz est si nouvelle qu’elle n’a, hélas, plus grand rapport avec Arsène Lupin.

 

Il est des résurrections qui sont en fait des enterrements de troisième classe.

 

A priori, tous les amateurs des aventures d’Arsène Lupin ne pouvaient que se réjouir à la pensée qu’après Boileau-Narcejac et Michel Zink, un nouvel auteur allait révéler des épisodes inédits de la carrière du brigand bien-aimé, mais, si Boileau-Narcejac avaient su produire de brillants pastiches et Zink un pastiche moins brillant, mais malgré tout honorable, on ne saurait en dire autant d’Adrien Goetz.

 

Pour cette Nouvelle vie d’Arsène Lupin, il s’est visiblement inspiré des séries télévisées Sherlock et Elementary. Puisque d’autres n’ont pas hésité à catapulter Sherlock Holmes au XXIe siècle, pourquoi, après tout, ne pas imposer, ou offrir, le même traitement à Lupin ? Bien sûr, on pourrait dire que l’acceptation de l’excentricité qui est au cœur même de l’âme anglo-saxonne permet au nouveau Sherlock de garder sur les épaules la même cape et sur la tête la même casquette que celles qu’il portait sous le règne de Victoria, mais qu’en revanche, nonobstant l’illustration de la couverture, il est bien difficile d’imaginer en 2015 un Lupin avec monocle et chapeau haut-de-forme… Ne pinaillons pas, puisque nous avons affaire à un mythe. Ce qui est bien plus gênant, en fait, c’est que Goetz, probablement victime du syndrome de Monsieur Perrichon et incapable d’accepter sa situation de débiteur — d’autant plus inconfortable que son roman commence à Strasbourg, exactement comme le second volet des aventures de Sherlock récemment proposées au cinéma avec Robert Downey dans le rôle du détective —, a cru se libérer en présentant dans son affaire Holmes — ou plus exactement  Sholmès, comme l’avait rebaptisé Maurice Leblanc — et Watson comme deux crétins congénitaux émanant bien moins de l’univers de Conan Doyle que des messages matmutiques de Chevallier & Laspalès. Goetz semble avoir oublié le principe élémentaire suivant lequel un héros ne saurait être un héros que si on lui oppose un adversaire à sa taille.

 

La situation n’est guère plus brillante du côté du personnage de Lupin lui-même. Que nous importe ici ses frasques, ses tours de passe-passe à la David Copperfield (le « magicien » de Las Vegas), quand nous ne percevons chez lui aucune motivation réelle ? On sait qu’en France on est condamné au bûcher dès qu’on ose parler de psychologie. Mais pour donner un exemple entre mille, si nous nous souvenons si bien de la poursuite entre voiture et métro dans French Connection, ce n’est pas seulement à cause des multiples cascades qui la ponctuent — c’est aussi à cause de la hargne folle que Gene Hackman fait passer dans son personnage de flic. Dans cette Nouvelle vie d'Arsène Lupin, bourrativement sous-titrée Retour, aventures, ruses, amours, masques et exploits du gentleman-cambrioleur, nous avons la quantité, indubitablement (nous avons même d’emblée droit à un escamotage de la façade de la cathédrale de Strasbourg), mais non la qualité. La question « pourquoi ? » est toujours posée de très fumeuse manière. Bien sûr, il arrivait dans les romans de Leblanc que Lupin commette tel ou tel forfait uniquement pour le fun, mais il le faisait avec panache. Avec le sourire railleur et la rage vindicative de l’anarchiste tenant à prouver que l’aristocratie, la vraie, n’était pas le fruit d’une origine sociale, mais le résultat d’une attitude. Leblanc savait faire parler Lupin avec une gouaille qui n’était jamais vulgaire. Vraiment, aurait-il mis dans sa bouche, comme n’hésite pas à le faire Goetz, une expression telle que « grosses bagnoles » ?

 

A l’origine de cette fadeur, pour ne pas dire de ces contresens, une fausse bonne idée. Leblanc avait flirté avec le fantastique en mettant sur le chemin de Lupin une comtesse de Cagliostro sans âge et détentrice du secret de l’éternelle jeunesse. Goetz a cru bon, en s’appuyant sur la multiplicité des identités prises par Lupin dans les romans originaux, de lui attribuer les mêmes pouvoirs que ceux de cette Cagliostro. Lupin n’est pas un nouveau Lupin placé dans notre siècle sans autre forme de procès comme le Sherlock de la série télévisée de la BBC est un nouveau Sherlock, surgi pour ainsi dire ex nihilo. Lupin est censé être ici le même Lupin que celui que nous connaissions déjà. D’ailleurs, tenez-vous bien, Mandrin, Vautrin et bien d’autres encore, c’étaient déjà Lupin. Goetz applique donc au prince de la cambriole le principe que Proust avait appliqué au Poète dans son Contre Sainte-Beuve, expliquant qu’il n’y avait pas des poètes, mais un poète se réincarnant sous différentes formes au fil des siècles (y compris, peut-être, sous la forme de Proust lui-même…). Vision magnifique, mais qui fait ici long feu.

 

Même si — soyons honnête — elle est présentée avec une certaine ambiguïté, elle enlève à Lupin le « talon d’Achille » inhérent à tout héros et qui le rendait si attachant chez Leblanc même dans ses moments peu recommandables — ce sentiment de ne pouvoir, malgré toutes les ressources de son intelligence, lutter contre le temps. Ce n’est peut-être pas par hasard que Lupin rime avec Scapin : sur la piste, le clown fait preuve d’une virtuosité nonpareille, mais nous sentons bien que nous assistons à l’un de ses derniers numéros, sinon à son dernier. Goetz essaie bien de faire passer la même mélancolie dans son dernier chapitre, mais, comme c’est (S)Holmes qui envoie Lupin ad patres et qu’Holmes lui-même, on s’en souvient, n’avait pas eu grand mal à ressusciter, il n’est pas exclu que Lupin connaisse une nouvelle nouvelle vie.

 

A Dieu ne plaise, s’il doit être plus petit (re)vivant que mort.

 

FAL

 

Adrien Goetz, La Nouvelle vie d’Arsène Lupin — Retour, aventures, ruses, amours, masques et exploits du gentleman-cambrioleur, Grasset, mars 2015, 18,50 € 


Lire la chronique par Patrick de Friberg

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1 commentaire

DarkVADOR

Je tombe un peu par hasard sur ce commentaire. En effet Arsène Lupin vit et vivra encore de nouvelles aventures. En 2012, Arsène Lupin et le secret des Lys sortait et était distribué avec succès en Belgique. Aujourd'hui on le trouve sur Amazon en version papier et électronique. Et bientôt nous publierons Les Nouvelles Confidences d'Arsène Lupin.