Gaël Faye, Petit pays

« Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là. Des milliers de kilomètres me séparent de ma vie d’autrefois. Ce n’est pas la distance terrestre qui rend le voyage long, mais le temps qui s’est écoulé. J’étais d’un lieu, entouré de famille, d’amis, de connaissances et de chaleur. J’ai retrouvé l’endroit, mais il est vide de ceux qui le peuplaient, qui lui donnaient vie, corps et chair (…) Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore. »

C’est sans doute ce constat qui a poussé Gaël Faye à nous proposer ce premier roman sensible. L’occasion pour lui de redonner vie, corps et chair à son enfance et à nous, lecteurs, de découvrir un pays et une histoire aussi joyeuse que dramatique, aussi lumineuse que troublante.

Gabriel a 10 ans, il est le fils d’un entrepreneur français et d’une mère rwandaise et se retrouve au Burundi où la ville est belle. Bien sûr, la famille est éclatée, mais les tracas du quotidien se limitent au vol d’un vélo, l’épisode le plus terrifiant qu’on lui raconte est celui de la circoncision des cousins. Mais quand on vit sur une faille sismique, il ne faut pas s’étonner des secousses. Qui ne vont pas tarder. D’abord au sein même de la cellule familiale : « Oui, ce fut notre dernier dimanche tous les quatre en famille. Cette nuit-là, Maman a quitté la maison, Papa a étouffé ses sanglots, et pendant qu’Ana dormait à poings fermés, mon petit doigt déchirait le voile qui me protégeait depuis toujours des piqûres de moustique. »

Petit à petit, il va voir s’éloigner le petit bonheur dans le petit pays. Déjà on évoque la guerre civile, les risques de coup d’Etat. Quand on jour deux élèves se bagarrent dans la cour d’école, Gabriel comprend la réalité du pays : « J’ai découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. (…) La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu, J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »

Sans vouloir se départir du ton léger propre au narrateur de 10 ans, l’auteur pressent que les exactions qui lui sont relatées, la façon dont son père s’isole pour écouter la radio ou encore la manière dont les policiers rançonnent les chauffeurs des véhicules qu’ils contrôlent ne laisse présager rien de bon : « Un spectre lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres. »

Alors que les bruits de bottes et celui des tirs d’armes automatiques se rapprochent, il trouve refuge dans les livres, grâce à une voisine aussi généreuse que visionnaire, et dans l’écriture, en envoyant des lettres magnifiques à sa correspondante française. 

Gaël Faye signe ici un premier roman épatant dont la musique est bien plus enlevée que ces symphonies classiques qui marquent chaque coup d’Etat. C’est son cœur qui parle plus que sa raison. Et ce par là qu’il nous émeut, nous touche, nous emporte. Que ses réflexions qui semblent à priori empreintes de naïveté nous donnent la clé d’un conflit aussi sanglant : «Je n’avais pas d’explications sur la mort des uns et la haine des autres. La guerre, c’était peut-être ça, ne rien comprendre.»

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