Gaël Faye, Petit pays

Un jeune homme de trente ans, Gaby se souvient de son enfance pas si lointaine. D’abord, il y eut le bonheur au Burundi dans une grande maison avec ses parents, son père "un petit français du Jura", sa mère rwandaise. Les premières années vécues dans des paysages sublimes : "le soleil qui décline derrière la crête des montagnes". Puis la séparation. Encore un peu le bonheur avec ses copains, les domestiques, un vélo volé maintes fois revendu qu’il faut aller chercher au fin fond de la campagne. Dans cet éden, il y a les odeurs, les saveurs : celles des mangues que l’on chipe dans une propriété et revend en riant à celle qui y habite. Il y a les quatre cent coups, la rivière descendue à pied, au risque d’être emporté, les parties de pêche avec des cannes faites en roseau de bambou devant des hippopotames en pleins ébats amoureux. Il y a des sorties chez les pygmées, la rencontre avec les kamikazes-bananes, les hommes à vélo qui descendent à toute vitesse la montagne, chargés de régimes de fruits au risque de leur vie et que le petit garçon rêve d’imiter.

Et puis, il y a la peur qui survient et bientôt un coup d’état, le déchaînement de violence, la guerre, la terreur à laquelle nul ne comprend rien. Le couvre-feu est déclenché, des villages, des écoles sont incendiées, les élèves brûlés vifs.


Tout s’accélère avec l’assassinat des présidents du Burundi et du Rwanda, la famille de sa mère est assassinée. Elle qui a du ramasser les corps de ses neveux qui gisaient là depuis trois mois "bout par bout" perd la raison. La femme élégante devient un fantôme et raconte à ses propres enfants comment elle a tenté d’enlever les taches que les cadavres avaient fait dans la maison, ceux des cousins avec qui ils jouaient il n’y pas si longtemps…

La guerre fait rage, les repères explosent les uns après les autres.

Vingt ans plus tard Gaby qui a fui avec tant d’autres en Europe revient "exilé de son enfance" pour découvrir que les ravages du conflit sont encore plus présents que jamais et qu’il devra en assumer les conséquences "sans savoir comment cette histoire finira".


Dans ce premier roman éblouissant de force et de maturité, Gaël Faye associe comme rarement la fin de l’enfance et celle de l’innocence. Le passage vers la maturité se fait dans la violence la plus extrême et le personnage ne s’en remettra jamais.

Du paradis vers l’enfer : l’auteur est aussi à l’aise pour raconter les doux après-midis d’Afrique d’avant la chute que le conflit absurde, les journées noires rythmées par le tir des AMX-10 dans les collines, les mots de Tustsi ou Hutu qui apparaissent soudain alors qu’avant il n’y avait que des copains, blancs, métis ou africains.

Petit Pays a sa musique propre, tour à tour tendre et douce, violente et déchaînée mais toujours empathique. Salué par le Prix Fnac et le Goncourt des lycéens, ce livre sur l’enfance et l’exil, l’identité, la nostalgie d’un monde et d’un âge à jamais perdus dans une même tragédie, envoûte définitivement.


Brigit Bontour


Gaël Faye, Petit paysGrasset, août 2016, 215 pages, 18 €


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