Nathalie Skowronek entre double vie et amour transversal

Peut-on aimer deux personnes à la fois ?
Canevas maintes fois déroulé pour tenter d’approcher la réponse, qui telle une savonnette dans une baignoire, s’ingénie à fuir la préemption d’un érudit en mal de sensation... car il n’y a pas de réponse définitive. En amour surtout, qui serait à même de pouvoir répondre loyalement, donner une norme, imposer une évidence ? Personne !
Ainsi la porte demeure entrouverte aux auteurs de films et de romans. Nathalie Skowronek en profite avec son cinquième livre – et quatrième roman – pour nous peindre une femme perdue entre ce qui semble être ce qu’elle perçoit comme ses devoirs de mère de famille, d’éditrice d’art à Paris, et son amour pour un documentariste qui vit dans les Cévennes. Il faudra qu’elle décède à quarante-deux ans d’une malformation cardiaque pour que sa fille Mina tente de recomposer le puzzle tout en préservant son père.

Dans un mouvement de balancier, la narration varie d’un homme à l’autre, portée par le ressentiment de cette femme tiraillée, incapable de mettre un mot sur la blessure secrète qui la noue et l’empêche de prendre une décision.
D’un côté Titus et Véronique s’aiment, travaillent, vivent dans un parfait ordonnancement du monde. Ils sont dans un temps autre, ce qui existe ailleurs cesse d’exister. De l’autre, Daniel préserve la stabilité à Paris, surveille d’un œil les comptes de la maison d’édition qui sont souvent dans le rouge. Taiseux, blessé, il fait face, renonçant à la laisser partir, se voulant présent quoi qu’il arrive. La laissant préparer une monographie sur un petit maître flamand, un certain Jeroen Herst.

Peut-on vivre deux amours sans devenir fou ? Est-ce possible de quitter l’un pour retourner vers l’autre ? Car c’est bien le retour qui est une chimère : Comment peut-on revenir sur ses pas ? se questionne Titus.
Hantée par l’abandon, Véronique ne peut quitter celui qui l’épousa malgré le fait qu’elle venait d’avoir une fille d’un autre homme. Engagement moral au-delà des sentiments amoureux ? La voilà, cette répudiée sans bruit qui se refuse d’imposer pareille déconvenue. Entre les ultimatums dépassés et les promesses non tenues, la vie s’est maintenue ; l’après devra contenir le même équilibre instable au-delà des ressentis.
Une mission impossible que la fille mènera coûte que coûte, Nathalie Skowronek peignant avec un certain recul et une noble retenue ces étranges émotions qui habitent les femmes et les hommes dès lors que leur cœur s’emballe. Une belle histoire qui ne sombre pas dans le convenu, ni le pathos habituellement servi dans ce genre d’histoire ; l’invitation de la peinture dans ce nœud gordien y est sans doute pour quelque chose. Par les images et le décalage temporel, l’auteur parvient à nous emporter dans les tourments de Véronique sans nous angoisser, regardeur comme en face d’un tableau, nous, lecteur, pouvons alors apprécier la teneur de la langue tout en suivant la narration ficelée comme un polar dont le dénouement sera la soirée d’hommage rendue à la disparue.
Une belle leçon de vie…

François Xavier

Nathalie Skowronek, La carte des regrets, Grasset, février 2020, 142 p.-, 16 €
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