Palimpseste de mémoire : Vanessa Springora

Élevée par une mère divorcée et ignorée par son père défaillant, V. (l'auteure elle-même), comble par la lecture le vide qu'elle subit jusqu'à sa rencontre avec G. (Gabriel Mattzneff). Elle a treize ans et ignore tout de cet écrivain qui a tôt fait de la séduire. Le bonze la fascine en dépit de ses 50 printemps. Il lui écrit, sait la rassurer. Et le tour est jouée. V. se donne corps et âme à ce séducteur qui remplace un père. Les menaces de la police eu égard à cet escroc sentimental rend une telle idylle romantique par le danger qui couve - mais contrairement aux apparences plus pour elle que pour lui.

Lorsqu'elle apprend qu'elle n'est qu'un élément d'une lignée d'adolescentes et adolescents le mal est fait. Mais V. lit enfin ses livres, comprend ses stratagèmes. Néanmoins l'intelligentzia fait d'un tel auteur sa coqueluche et pas question pour la victime de trouver une sortie jusqu'au moment où, apprenant qu'il va écrire leur histoire, elle tente d'échapper à ses flatteries, ses menaces et autre mises en garde.

Elle y parvient mais l'homme s'accroche et la harcèle. Il lui faut du temps pour sortir des griffes de celui qui ne cesse d'entretenir sa souffrance. Et ce jusqu'à ce qu'elle ose enfin l'enfermer dans un livre afin de le montrer tel qu'il est.
Plus de trente ans après sa subordination par ce don Juan des collèges le texte est enfin prêt. Il est fulgurant, lucide, parfaitement écrit. Il met à nu le processus d'emprise psychique et tout autant la situation inextricable dans laquelle l'agnelle se trouve coincée. Qui est-elle, comment faire le poids face à l'idole d'une société littéraire qui aime les célébrités mondaines et dont au passage Vanessa Springora décrit les dérives ?

Elle régurgite les jours, explique parfaitement ce qui est devenu d'elle en ce présent douteux. Elle écrit sa décomposition par la composition d'une langue qui affleure dans l’arc des mots douteux du suborneur qu'elle détord. Celle qu'il rendit en quelque sorte autiste transforme ses vieux séismes et mirages en cyclones et miroir inversé. G. n'est plus qu'ombre immobilisée - lui qui ne pouvait tenir en place.
Pour Vanessa Springora la nuit se quitte enfin et elle peut changer ses heures en une temporalité qui ne sera plus écorchée. Elle sort  du lit où on lui ouvrit le ventre.  Elle gratte jusqu’au vide utérin pour détacher ce hâbleur impénitent  sa chair. Une sourde parole voit le jour, inscrit les traces du silence en un murmure au creux d’un corps qui fut sans voix et qui lui fait enfin quitter ses  cuisses adolescentes programmées pour les mains d'un rongeur que l'âge ne pouvait anesthésier.

Il y a donc,  après un étourdissement, un jamais plus  non pour elle-même mais pour celles qui comme l'auteure peuvent se faire prendre jusqu'à ne plus avoir de place pour leur intégrité dans le repli d'un amour des plus douteux et qui tint de la passade narcissique pour un prétendant odieux. Ce n'est pas seulement l'écart d'âge qui choque mais  diverses connivences et la manière dont l'effeuillée solitaire fut jouée.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Vanessa Springora, Le consentement, Grasset, janvier 2020, 216 p., 18 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.