À l’insu de mon plein gré, vraiment ?

Le pouvoir de dire non. Plutôt le vouloir dire non. En priant être entendue. Quoique l’on en pense. Il y a toujours un instant où tout peut s’arrêter. Ou basculer. Or, la femme n’est pas coupable. Pas coupable de changer d’avis. Pas coupable de ne plus vouloir. Pas coupable d’être désirable. Pas coupable d’aimer les femmes. L’homme seul domine.
Or il ne domine bien souvent que l’autre. Rarement sa pulsion. Rarement sa violence. Il ne se retient plus. Camus reste dans les livres, injonction sémantique. Mais dans les faits la victime est coupable. Question de point de vue, d’angle, de prisme. D’égo. De culture, aussi.

Si bien que l’on hésite aux premières pages. Est-elle bien la victime ? L’aurait-elle tué pour se défendre ? La posture est accablante. La police distante. Les questions troublantes…
Quoique l’on fasse, dans ces moments-là, toujours nous serons à côté de la plaque. Rien ne peut étouffer la douleur, la honte, la folie qui vous gagne. Toutes les aides sont dérisoires car c’est en soi que la déchirure suinte. Le cerveau surchauffe. Le déni pousse. La révolte gronde. La déchéance achève le tout dans un flot de larmes et d’urine…

De la remise en question à l’aboutissement, nous suivons le parcours du combattant d’une jeune trentenaire violée qui tente de comprendre, de justifier son invitation (il est venu chez elle avec son assentiment), d'expliquer son trouble, de panser ses plaies, d'oublier l’impossible, de recouvrer la sociabilité. Des mots. Des mots sucrés distillés par la psy. Des mots durs proférés par la police. Des mots pragmatiques conseillés par l’avocat. Des mots pour vous soutenir alors que le feu vous consume…
Seule face à l’agresseur, seule face au juge, seule face aux amis. Seule avec soi-même dans un dialogue de sourds. L’alcool en bâton de pèlerin. Retour au bitume un jour après l’autre.

De cette musique désenchantée, Mathilde Forget polit sa trame narrative dans un pointillisme musical qui offre des harmonies décalées. La musicienne transparaît derrière les codes sémantiques de l'écrivain, les différentes polices de caractères, la mise en page. Entre clip et long-métrage en noir & blanc, on lit la gorge serrée. On ressent toute l’abnégation de la victime qui cherche une réponse à la seule question qui n’en aura jamais. Sauf à oser cette vérité d’un homme prédateur. D’un homme animal sauvage. Et en toute franchise on peut mettre un H car la femme aussi, au fond d’elle-même, possède la même furie mortelle. Ces pulsions criminelles qui nous traversent sans que l’on sache comment pourquoi. Souvent contenues dans l’intimité, elles peuvent aussi nous trahir en société. L’Homme est en loup pour l’Homme, de son plein gré. En toute conscience.

 

Annabelle Hautecontre

 

Mathilde Forget, De mon plein gré, Grasset, mars 2021, 140 p.-, 15 €
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