Mathilde Forget l’équilibriste

Deuxième dans l’ordre de lecture – mais premier opus de Mathilde Forget paru en 2019 – voilà un parcours rarissime dans notre rédaction où De mon plein gré circula de l’un à l’autre, me poussant, naturellement dirai-je, à acheter ce livre-ci, tant je voulais en savoir plus, mais surtout continuer à entendre cette voix. Car il y a une voix unique chez Mathilde Forget, non pas celle de ses chansons – quoique certaines chutes de chapitres n’y sont pas étrangères – c’est plutôt le décalage, la mélodie des mots qui joue du sens et de la poésie qui s’instaure chez la narratrice.
Sorte d’Alice décalée dans un pays qui n’a rien de merveilleux – elle n’aime pas Bambi, un connard, a la phobie des requins et vénère sa sœur –, mais elle se contient et tente vaille que vaille de porter à bout de bras cette aînée qui semble s’enfoncer dans la même pente sablonneuse que leur mère qui fit le grand plongeon depuis la tour d’un château un jour où l’angoisse l’étouffait de trop… 

Ma mère voyait la Vierge Marie. Dans un récit, l’improbable annule toujours le vraisemblable. 

Dans le questionnement du pire, il y a cette légèreté qui porte la cadette à subvenir aux attentes de sa grande sœur, l’aider à accepter l’hospitalisation dans le dessein de guérir ; pas comme leur mère que les psychiatres ne parvenaient pas à comprendre. Concernant le chagrin, les règles de partage restent obscures. Sa propre vie n’est pas un long fleuve tranquille et ses amours contrariés l’incite à prendre des décisions radicales : Concernant les gens que j’aime, je m’organise mieux avec leur absence. 
Entre alors un jeu de codes, de postures, de reflets de cette société déjantée qui se vante d’égalitarisme à tous les étages alors que tout ce qui dépasse ou n’entre pas dans la norme doit être caché. Comme si ne plus voir un problème offrait une solution. Mais ma mère n’a pas été assassinée par un chasseur. Je n’ai rien à voir avec Bambi, j’ai envie de leur dire. 

Servies par une langue riche et précise, les saillies sont autant de coups de poing dans l’estomac ou de libération des zygomatiques : on oscille entre Djian et Modiano ; on recouvre notre souffle par de beaux portraits et descriptions, avec l’humour en plus : Je suis attachée au silence et aux personnes indépendantes, et les enfants manifestent leur dépendance par le bruit. 

Dans cette morne plaine actuelle, voilà deux livres qui, tout en traitant de sujets forts, difficiles, nous renvoient une bouffée d’oxygène, une incitation à relever la tête, un souffle de vie tel ce printemps qui renaît du froid d’hiver, manteau noir rejeté vers l’arrière : demain sera un autre jour plein de richesse et de merveilles. Vite tournons la page… 

 

François Xavier 

 

Mathilde Forget, À la demande d’un tiers, Grasset, août 2019, 160 p.-, 16 €

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