Gregory Corso : quand le "flow" devient bombe

                   


 Corso annonçait sans le savoir le rap, Wu Tang Clan et Eminem. Avec Burroughs, Kerouac, Ginsberg il fut un des « trois mousquetaires » (comme on le sait ils furent quatre) de la Beat Generation. Enfant abandonné de deux immigrés italiens, il vit dans les rues de Little Italy (N-Y), va un temps à l’école avant de glisser dans le petite délinquance. Il se retrouve à 14 ans dans la prison de Clinton. Il devient le mignon de pensionnaires et se rapproche d’ex-lieutenants de Lucky Luciano dont il « hérite » de la cellule. Il lit les livres que ce dernier avait fait don à la prison. Libéré à 19 ans il décide de devenir poète et rencontre Ginsberg. Au club lesbien « Pony Stable Bar »  il est hébergé comme artiste en résidence. Plus tard il retrouve sa mère dont il apprend le secret : elle dut l'abandonner après avoir été  violée par son père devenu fou. Corso entretiendra avec sa mère une relation fusionnelle jusqu’à sa mort.

 

Bomb (1959) reste son poème le plus célèbre. Sous forme calligraphique de champignon nucléaire ce texte fait de l'auteur le plus rock-punk et hip-hop parmi ses acolytes "Beat". Il joue un tour grandiose à la poésie à laquelle il dit va te faire foutre. Sous la farce tragique et engagée se dresse un phénomène poétique et scénique « white-trash » comme le prouve le pied de ce champignon:

« Into our midst a bomb will fall Flowers will leap in joy their roots aching Fields will kneel proud beneath the halleluyahs of the wind Pinkbombs will blossom  Elkbombs will perk their ears  Ah many a bomb that day will awe the bird a gentle look Yet not enough to say a bomb will fall or even contend celestial fire goes out Know that the earth will madonna the Bomb that in the hearts of men to come more bombs will be born magisterial bombs wrapped in hermine all beautiful and they'll sit plunk on earth's grumpy empires fierce with moustaches of gold”:

 

Corso est aussi l’auteur d'un seul roman « The American Express ». Là encore il s’agit d’une farce où le narrateur attend d’improbables chèques. "Bomb" reste sans doute son texte le plus célèbre. Le poète le produisit sur la scène de plusieurs festivals anti-nucléaires dont celui de Rocky Flats (Denver) où il fut filmé. On retrouve dans la prestation comme dans le texte un poète illuminé à la fois croyant et déjanté. Il reste un Artaud d’un nouveau genre dont le poème choqua par sa violence verbale comme par sa scansion faite de vociférations barbares qui troublaient le naïveté des hippies venus l'entendre. D’autant que le texte n’est pas univoque et platement engagé dans un sens purement humaniste. Il existe, en son magma en putréfaction incendiaire poétique au souffle démesuré, autant de répulsion que de fascination pour le mode tel qu’il est ou tel qu’il devient.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Gregory Corso, « Bomb », édition Derrière la salle de bain, Rouen, 10 €

 

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