Le "Paris macabre" de Rodolphe Trouilleux invite à d'autres flâneries

Dans un style d’une rare élégance, Rodolphe Trouilleux nous mène dans Paris en suivant le passage des fantômes cher à Léon-Paul Fargue. Spécialiste de la ville secrète qu’il a plusieurs fois arpentée dans des livres notoires, ce marcheur minutieux tire des portes depuis longtemps fermées, soulève les trappes des cachettes. Il révèle ce que les yeux ne peuvent voir sans l’aide d’un guide accoutumé au pavé des rues qui luisent sous de vieux réverbères.


Nous emboîtons son pas qui remue des ossuaires où gît le souvenir d’une tête momifiée, peut-être celle d’Henri IV, celui du hangar de la veuve (le massicot des corps), rue de la Folie-Regnault. Il ranime le gibet de Montfaucon avec une aisance magique et fait revivre l’inconnue de la Seine, « idéal érotique » qui avait ému Rilke, Nabokov, Aragon. Maurice Blanchot avait discerné sur le visage de la noyée le sourire de l’ « extrême bonheur ». 


La promenade a une couleur de chair morte mais on l’accomplit tout de même égayé, un peu ivre, surtout en s’engouffrant, boulevard de Clichy, dans le Cabaret du Néant où se donnait, à partir de 1892, le spectacle verdâtre de beuveries orchestrées par des garçons de café en habit de croque-morts. Cadavres en puzzle, cultes païens, spectres empoisonnants, esprits frappeurs, ombres détectées et autres diableries sont les fruits putrides de cette savante enquête composée de faits vrais et d’histoires prodigieuses. 


Jamais on ne leva avec autant de tact le linceul parisien. Rodolphe Trouilleux, à la suite de Jacques Yonnet dans son indispensable Rue des maléfices, attise le regard sur un Paris qu’aucun livre n’avait encore montré.

 

Guy Darol

 

Rodolphe Trouilleux, Paris macabre, Histoires étranges et merveilleuses, préface d’Anna Gavalda, Éditions Le Castor Astral, janvier 2012, 302 p., 18 €

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