Dictionnaire des injures littéraires, Pierre Chamlin recueille de bons mots que son éditeur s'empresse de dénaturer avec ce titre fallacieux

Quoi de plus jouissif que de lire les vilenies dont sont capables plus que coupables nos contemporains ? Les petits vices sont toujours un délice... Se prenant pour les frères Goncourt à lui tout seul, Pierre Chalmin recueille toutes les méchancetés qui traînent, mais il ratisse si large qu'il vide son
Dictionnaire des injures littéraires de tout son suc premier. Il reste un suc second, mais le mal est fait.

Ta gueule Chalmin !

Evacuons tout de suite les trois écueils de ce Dictionnaire des injures littéraires : ce n'est pas un dictionnaire, il n'est pas question d'injures et le tout n'est que rarement littéraire. A part cela, le titre est accrocheur... 

Pas un dictionnaire, d'abord, parce qu'aucune des entrées ne se pose comme définissant un terme, le classement alphabétique n'y suffit pas à lui seul, il manque l’onction de la définition. Pas injurieux, ensuite, parce que les citations de ce volume ne constituent en rien des outrages ni des invectives, ce sont des jugements ou des bons mots trempés dans le vinaigre, mais rien de plus. D'ailleurs, la quatrième de couverture se perd elle-même, déjà, entre injure et insulte, deux choses tout à fait dissemblables ne serait-ce que par la violence du coup porté et la spontanéité requise dans le second. Et pas littéraire, non plus, enfin, parce qu'on entasse des gens qui n'auraient rien à y faire si l'auteur eût voulu respecter la lettre de son titre : Brigitte Bardot, Johnny Halliday (!!!), Catherine Deneuve, Bourvil, Parnell (homme politique irlandais), Gustave Eiffel, Raimu, Amélie Nothomb, Otton Ier (roi de Bavière), Raspoutine (aventurier russe), Marat, Jules II (pape), Freud, Victor-Emmanuel III (roi d'Italie)... du beau monde, certes, mais littéraire ? ou alors il entend par « littéraire » : « issu de livres », car les sources sont livresques, mais ni les sujets ni les auteurs de ces mots venimeux ne sont littéraires ! Et venimeux, pas tant que ça, non plus ... et drôle même pas, surtout quand on lit que l'auteur de cet « ana » s'est lui-même inscrit dans la liste des victimes. Prenons queques exemples magnifiques parce qu'ils cumulent les défauts de n'être ni littéraires ni injurieux (et même pas drôles) :

« Fouquier entra aveuglément dans son rôle meurtrier, et devint de plus en plus exécré et exécrable. »
(Jules Michelet à propros de l'accusateur public Antoine Quentin Fouquier-Tinville 1746-1795)

« En refusant à des hommes leur qualité d'homme, il avait renoncé à la condition humaine pour lui-même. »
(Roger Vailland à propos de l'officier nazi Adolf Eichmann 1906-1962)

« Les films de Welles sont tournés par un exhibitionniste et montés par un censeur »
(François Truffaut à propos du cinéaste Orson Welles 1915 - 1985)

Dans un sage préambule, pourtant, Pierre Chalmin nous donne à lire les trois définitions. Dommage qu'un beau programme se soit arrêté à l'orée même de son aventure... à moins que ce ne soit son éditeur qui ait voulu faire un beau coup, car certes ce volume va certainement se très bien vendre, mais il ne restera pas au-delà d'un ouvrage dans lequel on va piocher, quand on a cinq minutes à devoir s'asseoir. 

Pire, à défaut d'être bien mené, ce « dictionnaire » est aussi un gentil foutage de gueule : certaines entrées sont sorties de leur contexte et donnent donc une très mauvaise vue de la réalité des propos. Par exemple, quand il cite Pierre Desproges, s’il omet de dire que le texte est un des réquisitoires des Flagrants délires, il passe alors volontairement sous silence le côté méchant-pour-de-faux. 

Le corps de nos reproches sur cet ouvrage ne naît-il d'ailleurs pas d'un hiatus entre l'appareil marketing qui relève des prérogatives de l'éditeur et le contenu, le travail de l'auteur qui donne un vrai « Dictionnaire des injuriés » ? Quoi qu'il en soit, nous devons examiner le livre achevé tel qu'il s'offre à nous, même si cela pourra relever de l'injustice par rapport à un auteur dont on ne dénigrera pas ni le travail ni la volonté de bien faire.

Les petites méchancetés sont toujours aimables

Un beau & vrai dictionnaire des insultes littéraires est-il d’ailleurs réalisable, voire utile ? on laissera de côté ce dilemme pour  examiner le côté plaisant de l’ouvrage que nous propose Pierre Chalmin. Convoquant nombre de vilains grognons, il nous donne un volume où il est loisible de piocher et d'aller sourire. Sans forcément atteindre à l'intelligence d'un modèle du genre que demeure le Dictionnaire de la Bêtise et des erreurs de jugement (1), et malgré tous les reproches que nous lui avons fait et sur lesquels nous ne reviendrons pas, l'improprement nommé Dictionnaire des injures littéraires, estampillé « Ta gueule Bukowski ! » (2) est un bel ensemble des bons mots peu affables, de mépris et de mise en terre. 

De tout cela il ressort également que certaines saloperies révèlent d’un art de la concision et de la critique qui peut laisser rêveur. Quand Jules Renard s’en prend à Stéphane Mallarmé et le dit « intraduisible, même en français », ne touche-t-il pas là à l’essence même de sa poétique ? 

Au final, Pierre Chalmin a sans doute beaucoup de lectures, mais pas forcément les meilleures (par exemple, sa citation de Céline sur  Sartre n'est pas la plus violente, il en manque un bon nombre sur Huysmans, sur Sand on s'attendait à Nietzsche, l'auteur cite en revanche L'Express, on attendait plus sur Villiers de l'Isle Adam que sur Staline...) mais celle où il a cru trouver de l'esprit, et parfois de l'esprit venimeux. Un ana de petite saloperies, qu'un éditeur a su rendre accrocheur (d'ailleurs, la couverture nous trompe bel et bien puisqu'elle est bien littéraire, les livres empilés ne montrent que des noms d'écrivains...). Ce « Dictionnaire » n'est rien de ce qu'il promet, mais reste une lecture agréable à piocher ici ou là. 



Loïc Di Stefano

(1) De Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière, « Bouquins », Robert Laffont. 

(2) Dans une mise en scène un peu contournée, Bernard Pivot invite Charles Bukowski dont on sait les penchants pour l'alcool, et lui en met si tant à disposition en sa loge que du grand écrivain américain ne reste qu'un quelconque poivrot. Bien sûr, Pivot fait son spectacle de demi-pudibonde, Bukowski se tient comme il peut et décline même l'interview, et c'est Cavana, ce grand écrivain à moustaches, ce haut dignitaire des Lettres, cet indispensable, enfin, qui apostrophe son condisciple du fameux « Bukoswki, ta gueule » pour qu'on parle enfin de lui. C'est un guet-apens. C'est piteux, dans l'ensemble, et abject dans le fond. Lire la transcription de cette scène mémorable ICI. 

Pierre Chamlin, Dictionnaire des injures littéraires, L'Editeur, septembre 2010, 732 pages, 29 euros
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