Petite anthologie des mots rares et charmants

On le sait, je l'ai souvent dit, en pas mal de lieux : je ne suis pas de ces linguistes sourcilleux qui rêveraient d'interdire aux non-linguistes de parler du langage et des langues. L'attitude, on le sait, est assez commune, pas seulement chez les linguistes : les psychanalystes, en tout cas un grand nombre d'entre eux, ont horreur de voir les non-analystes parler de l'inconscient. Je suis bien placé pour le savoir…

Ce sont des attitudes déplorables. Il faut conserver en ce domaine, en ces domaines, une liberté absolue, et apprécier les travaux produits selon leurs mérites, et non selon les diplômes ou le statut de l'auteur.

C'est que je vais tenter de faire pour cette Petite anthologie des mots rares et charmants. Elle a des qualités, à n'en pas douter. J'énumère :

La quantité des mots (390) et des expressions (150) étudiés est parfaitement honorable – dans l'immensité des faits de langue répondant aux exigences de l'auteur – et leur classement intelligent. Les unités étudiées sont réparties sous 17 thèmes généraux, ce qui permet de les repérer de haut. Elle donnent  lieu d'autre part à deux index alphabétiques bien compilés, qui permettent de les retrouver de près.

Le choix, nécessairement subjectif, est le plus souvent justifié. Je ne me hasarderai pas, que Daniel Lacotte se rassure, à juger peu charmant tel ou tel mot qu'il a retenu. Quant aux absences que j'ai regrettées, comment justifier leur choix ? L'auteur sait bien qu'il aurait pu donner à son livre des dimensions infiniment plus considérables. Un exemple : sous le registre de la mortLacotte a retenu 9 mots et expressions. Un récent Dictionnaire du français en liberté, celui de Dontcho Dontchev, en relève plus de 10 fois plus : 103, ni moins rares, ni moins charmants,  pour la plupart, que ceux de Lacotte. Mais ici les contraintes éditoriales sont déterminantes. Tenez, tout de même, un seul regret : le registre de la santé ne comporte que deux entrées :cacochyme et valétudinaire. Parmi les innombrables ajouts possibles, j'en vois un qui s'impose : hypocondriaque. Et tenez, au fait, atrabilaire, qui figure bien dans le livre, mais dans le registre de la colère, ne serait-il pas aussi bien placé, comme bilieux, d'ailleurs, dans celui de la santé ?

La brève introduction, sous le titre ludique « Jeux de mots » est allègrement écrite, et, sur un ton très juste, traite élégamment d'un problème capital : le rôle du mot dans l'écriture littéraire.

Quant aux commentaires sur les unités étudiées, ils sont généralement plutôt justes et fort agréablement écrits.

Voilà bien des qualités, en somme. Reste que d'autres traits sont plus discutables.

À l'égard de l'étymologie, Lacotte est très discret. Il en fournit quelques-unes, puisées aux bonnes sources. Mais le plus souvent il se tient coi. Pourquoi, si j'ose le jeu de mots homophonique ? Peur de paraître trop pédant ? L'étymologie, prise avec les précautions nécessaires, est toujours, oui, je dis bien toujours, éclairante. Deux exemples : baragoin nous vient, selon toute vraisemblance, du breton  bara gwin, « pain et vin » : telles étaient les exigences des bretonnants débarquant en région francophone ! Quant àpicoler, il est vrai tout juste cité dans l'article gobelotter, ce sont les ouviers italiens qui n'ont l'ont apporté, avec leur petit – piccolo – vin aigrelet. Sans compter que le piccolo,  c'est aussi une petit flûte, qui a aussi donné le verbeflûter comme variante – rare et charmante ? – de boire.

Mais ce sont surtout les exemples qui étonnent. Ils sont rares, ce qui est fâcheux. Ils sont tous de la plume, comme toujours adroite et élégante, de Lacotte, et mettent tous en scène Robert et Marie-Chantal, héros de micro-récits faisant apparaître les mots étudiés. Il aurait été à mon sens indispensable de donner un exemple pour chaque unité étudiée. Et, sans forcément renoncer toujours à Chantal et Robert, emprunter un bon nombre de ces exemples à des textes, littéraires ou non. Pour la littérature, Lacotte cite, dans une bibliographie plutôt bien faite, une trentaine d'auteurs modernes, tous morts, à la réserve de Pierre Perret. Que n'a-t-il emprunté ses exemples à ces auteurs ? Et à d'autres, plus anciens – Balzac et Zola sont des réservoirs insondables – ou plus récents.

On le voit : mes réserves sont réelles. Elles ne nuisent nullement au plaisir de la lecture.


Michel Arrivé 

Daniel Lacotte, Petite anthologie des mots rares et charmants,  Albin Michel, octobre 2007, 298 pages, 12 euros
Aucun commentaire pour ce contenu.