Le pauvre "Dictionnaire des gros mots, insultes, grossièretés et autres noms d'oiseaux" mérite qu'on le signale, mais comme ratage magistral

Dans son avant-propos étique, Marc Lemonier nous vante les mérites de sa petite collection de mots gras. Mais contrairement au quatrième de couverture qui prétend nous faire saliver avec "des exemples d'utilisations extraits de la littérature, du cinéma ou de la presse", on y apprend assez vite qu'il s'agit de notations issues d'heures passées à parcourir blogs et forums où, il est vrai, le chatoyant français est quelque peu malmené. Mais également à relire tout Tintin (les phylactères du Capitaine Haddock  essentiellement... car on est vraiment heureux de trouver dans un dictionnaire le si nécessaire "loup-garou à la graisse de renoncule" ou même "polygraphe"...) et à écouter du Rap. Est-ce là assez pour forger un dictionnaire ? D'autant qu'en matière de gros mots, le langage courant est assez riche et mérite d'être fixé sans aller chercher l'occurrence improbable d'un "farco" (verlan de l'arabe kofar, mécréant) voire carrément du "moldu" d'Harry Potter (la voilà, la littérature tant attendue !)

Où est donc l'intérêt de faire un volume destiné à marquer un moment précis de l'évolution de la langue (c'est le sens du dictionnaire) à partir de résidus rencontrés le plus souvent une seule fois au hasard de l'inventivité d'un internaute vindicatif ? Dans le texte d'un rappeur qui méconnaît les fondements mêmes de la langue ? Dans les éructations maniaques d'un Capitaine Haddock qui, parce que c'est lui, justement, sont destinées à l'identifiées et non pas à s'universaliser ? (1)

Qui plus est, notre collectionneur mélange tout, aussi bien des interjections ("Doux Jésus !) et des interjections étrangères ("madre de Dios" alors qu'un simple "mère de Dieu" eut fait l'affaire..., "hijo de puta"), des vieilleries inusitées ("patapouf", "fesse-Mathieu", "sacripant") , des jurons étrangers ("malakas" du grec, mais pourquoi pas mettre toutes les formes du si universel "enculé" ?), des noms communs ("voleur") et du verlan ("dèp", "cheum", "diksa" dont on appréciera l'usage récurrent dans la langue) aussi bien que des mots qui ne sont pas gros ("craignos", "junky"). On est bien content de relire trois lignes de Serge Gainsbourg, mais de là à faire entrer "son of a bitch" dans un dictionnaire français, même marginal, c'est un peu chercher à remplir à la sauvette un gros volume avec du vent.

On en revient toujours à la même exigence : quelle que soit la matière collectée, il faut que le travail soit rigoureux et justifie d'une approche sémiologique. Ce n'est qu'à ce prix que l'humour de la collection peut ressortir, pas d'un bric-à-brac informe et mal ficelé. Par exemple, pourquoi cinq entrées pour "tête de..." et quatre pour "fils de" alors que ce qui suit ne fait pas plus sens ? Pourquoi "souchien", "crouille" et "rital" et pas "chleu" ou "teuton" ? Tout est vraiment trop approximatif dans ce ramassis insipide qui prétend donner mille cinq cents entrées "diablement piquantes" et ne propose que la partie congrue d'un travail bâclé. 

Aussi raté, donc, que L'Art de l'insulte, mais beaucoup moins drôle et littéraire, ce "dictionnaire" mérite donc d'être vite oublié, sauf à être feuilleté dans l'isoloir. Décidément, Robert Edouard reste indépassable ! (2) 

Loïc Di Stefano

Marc Lemonier, Dictionnaire des gros mots, insultes, grossièretés et autres noms d'oiseaux, Balland, août 2012, 410 pages, 22,50 euros

(1) Sur Haddock et les gros mots, lire le brillant essai d'Emile Brami Céline, Hergé et l'affaire Haddock

(2) Robert Edouard, Le Traité d'injurologie et le Dictionnaire des injures, 10/18 (n° 3725 & 3726), la base de toute sagesse dans ce vaste domaine
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