Calligrammes de Guillaume Apollinaire : entre effroi & beauté

Chaque volume de la collection Blanche grand format (250 x 325) offre une magistrale interprétation du texte ainsi offert dans une perspective rare, surtout en poésie ; ce qui permet une lecture différente. Indispensable pour Apollinaire qui a souvent de très longs vers qu’un format traditionnel  oblige à couper. Crève-cœur de l’aveu même de l’auteur, déchirement pour le lecteur qui y perd aussi une partie du rythme, de cette musique visuelle qui accompagne toute lecture, pierre angulaire de la poésie, cet art de l’oralité transcrit sur papier…

Ainsi rassemblée sous la couverture protégée d’un papier de soie, cette version des Calligrammes se veut au plus proche de l’original. Le souci de la plus grande fidélité a été poussé jusqu’à reproduire en fac-similé les manuprimes (textes reproduits sous leur forme manuscrite) qui, dans certaines éditions, avaient été typographiés.

 

Cet extraordinaire volume se clôt avec les vingt-et-un poèmes de Case d’Armons, reproduits en fac-similé depuis l’édition originale publiée sur le front au printemps 1915. Elle a été calligraphiée et polycopiée, mais l’impression n’étant pas parfaite, cela a contraint les camarades de Guillaume Apollinaire à rehausser à la main, sur chaque exemplaire, certains passages. Il n’est donc pas deux exemplaires identiques de cette édition. Un trésor de bibliophilie contemporaine, à l’apparence modeste mais à la si vibrante émotion dès que nos yeux se portent sur ce qui est aussi un témoignage poétique du front où s’entremêlent les affaires de l’amour et de la guerre dans un surprenant mouvement de création littéraire et d’organisation plastique…

 

[…]Deux lampes brûlent devant moi

Comme deux femmes qui rient

Je courbe tristement la tête

Devant l’ardente moquerie

Ce rire se répand

Partout

Parlez avec les mains faîtes claquer vos doigts

Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour

[…]

 

Poèmes de paix et de guerre, écrits entre 1912 et 1916, cristal littéraire au diapason de ces instants d’éternité où le temps se fige. Soit que le bonheur est trop fort, soit que la terreur paralyse. Sans oublier pour autant de toujours écrire, Guillaume Apollinaire fait plus que décrire un moment du monde, il déplace les marqueurs pour renommer l’irréparable, célébrer le plaisir, quêter l’amour et toujours chercher à voir la beauté même à travers le crible de la mitraille.

 

Ah ! Dieu que la guerre est jolie

Avec ses chants ses longs loisirs

Cette bague je l’ai polie

Le vent se mêle à vos soupirs

[…]

 

Porté par cet esprit nouveau d’où allait surgir le surréalisme, Apollinaire est joueur : certains de ses vers voire de ses poèmes sont présentés sous diverses formes où les polices se mélangent, les formats changent, la mise en page mue donnant des allures géométriques à ses phrases. Il y a de la joie malgré toute la noirceur du monde qui va s’abattre sur ses épaules. Calligrammes ratatam en quelque sorte, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, soyons fous…

 

Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit

Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder

Ce sont des dames qui dansent avec leur regard pour yeux bras et cœur

[…]

 

 

François Xavier

 

Guillaume Apollinaire, Calligrammes, 40 illustrations couleur, Gallimard, coll. "Blanche grand format", 250x325, décembre 2014, 176 p.- 35,00 €

La composition et la mise en page du texte ont été réalisées par la Compagnie typographique, avec le concours scientifique de madame Claude Debon, professeur émérite à la Sorbonne nouvelle-Paris III.

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