Ouvrir Guillevic de l'intérieur

Les peintres comptaient pour lui, c’est d’ailleurs l’un d’entre eux, Baltazar, qui attira mon attention sur l’importance de l’œuvre de Guillevic avec lequel il composa dix-sept livres rares, peints à la main, en édition limitée … Il y aura aussi ceux réalisés avec Bazaine, Léger, Manessier… mais les onze avec Dorny et les douze avec Pouperon établissent ce trio qui formera la garde rapprochée de ces correspondances au sens baudelairien du terme, cette complicité qui portera les œuvres, distinctes comme communes.
Les textes sur Baltazar et Dorny sont ceux dans lesquels Guillevic parvient à s’immiscer dans cet autre, dans ce qui fait sa spécificité intrinsèque sans écho direct à son propre art poétique. Le poète saisit la force des quatre éléments qui balayent les tableaux de Baltazar avec une foudroyante fulgurance ou l’âme d’architecte de l’espace et des couleurs que sont les tableaux de Dorny.

Baltazar est toujours en partance, toujours sur le point de partir et d'arriver en même temps.
Où ? en pleine lumière, mais vers une lumière qui, par le sombre, le noir, le porte plus loin.
Evidemment,  il ne sait où.
En passant parmi les choses il les foudroie et chante avec elles le temps de l'éclat.


Guillevic avait l’œil concret (Raymond Jean), écartant emphase et grandiloquence pour ne conserver que l’essentiel, cette peinture qui ébranle l’âme, nourrit les sens… Ainsi le poète, par son œuvre polyphonique, a-t-il invité les peintres à exprimer une correspondance, une complicité, une continuité fraternelle dans cette acceptation d’un possible mariage entre les signes écrits et les signes visuels.
Parfois plus éloquente, plus parlante que la poésie accompagnée par les formes et les couleurs, les peintres sont parvenus à pénétrer l’essence du sujet par-delà la narration. Parfois enfermé dans le langage, le poète se voit invité à de nouvelles dimensions dans le monde visuel de l’artiste.

La force du vers guillevicien prend alors toute sa force évocatrice dans son envol vers l’imagé du complice en peinture :

Quand la plage vers le soir
Est de la couleur de la mer,

Que la mer
N’est que le prolongement de la plage

Quand il n’y a de sûr
Que ce gris n’est même pas gris

Ce plan horizontal et, au-dessus de lui,
La vague hémisphère translucide,

Il faut sortir
De cette espèce d’éternité.

Avec cet ouvrage se referme la trilogie débutée en 2007 avec Relier puis suivi en 2013 d’Accorder. Ici sont réunis une centaine de textes, commentaires, hommages, poèmes. Florilège indispensable pour les amoureux de son œuvre, entrée en matière pour les curieux en quête d’un auteur à découvrir…

 

François Xavier

Guillevic, Ouvrir – poèmes et proses 1929-1996, édition établie et préfacée par Lucie Albertini-Guillevic, postface de Monique Chefdor, Gallimard, novembre 2017, 295 p. –, 25 €

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