Guy Darol, héraut de la contre-culture
Guy Darol est un pur
produit de la culture underground des
années 70. Celle qui, née des utopies soixante-huitardes, du rêve naïf, commun
à Rimbaud et à Guy Debord, de changer le monde, se perpétue, des décennies
après, grâce à des écrivains tels que
lui. En d’autres termes, Guy Darol est un poète, dans le sens le plus noble du
terme. Et un pur. A l’inverse de nombre de ses contemporains qui, oubliant les
engouements de leur jeunesse, ont jugé plus réaliste (et plus rentable)
d’intégrer la société qu’ils vilipendaient, et, si possible, d’y occuper des
fonctions lucratives, il persiste et signe. Conserve intact un amour ancien pour
Frank Zappa, auquel il a consacré plusieurs ouvrages, et, d’une façon plus
générale, en musique comme en littérature, pour les marginaux. Les
excentriques. Les francs tireurs. Ceux qui sortent des entiers battus, Joseph
Delteil, André Hardellet, les surréalistes et leur postérité. Les héritiers
du hard rock et ceux du psychédélisme.
Un héritier, donc. Non pas au sens péjoratif que donnaient à ce terme Bourdieu et Passeron : il serait plutôt en rupture avec les valeurs véhiculées par ceux qui l’ont précédé – même si son père, ou celui de son narrateur, on ne sait trop et peu importe, participe furtivement à sa formation intellectuelle. Mieux, un passeur dont la mission serait d’entretenir la flamme de la révolte pour la transmettre intacte aux générations montantes.
Dans le Paris des années 70, les slogans de mai 68 résonnent encore dans les têtes. Le vieux monde a, certes, survécu aux barricades, mais il agonise. La révolution qui permettra d’en finir avec lui est toujours à l’ordre du jour. Encore faut-il lui inventer de nouvelles formes, se forger de nouvelles armes. Ou, plus exactement, de nouveaux outils mieux adaptés au but poursuivi. La littérature, la vraie, celle qui se joue de toutes les conventions et de tous les tabous, n’est-elle pas la pourvoyeuse idéale dans « la guerre sans poudre ni fumée, sans attitudes guerrières, sans gestes pathétiques ni contorsions » évoquée par Friedrich Nietzsche, dont le nihilisme visionnaire fournit aux idées contestataires du temps une manière de cohérence supérieure ?
Axel, en est, pour sa part, convaincu. Il se meut, grâce à la lecture, dans un monde idéal, persuadé que les thèses des guides qu’il s’est choisis – ou qui se sont imposés à lui - déboucheront, de manière pacifique, sur la société à laquelle il aspire. Une société ignorant l’exploitation de l’homme par l’homme, fondée sur des valeurs d’égalité et d’harmonie. Celle-là même dont les murs du Quartier latin, qui en portent encore les traces, exigeaient naguère encore l’avènement.
Dans cette utopie aussi cohérente que séduisante dans l’abstrait, une faille. Celle du sentiment. Echidna, jeune étudiante à l’université de Vincennes, fait irruption sans la vie d’Axel et la donne en est changée. L’amour sera-t--il compatible avec la révolution ? Le nihilisme s’accommodera-t--il de la passion ? Le rêve pourra-t-il faire bon ménage avec la réalité, et au prix de quels abandons ou de quelles compromissions ? Telles sont les nouvelles questions auxquelles est confronté notre négateur universel. Impossible pour lui de retourner en arrière. De retrouver, le souhaiterait-il, l’innocence première. Tant il est vrai que « revenu à la prison, l’évadé perd toute chance de pouvoir en sortir. »
Sans doute Guy Darol a-t-il mis beaucoup de lui-même dans ce livre à la fois nostalgique, exaltant et prenant de bout en bout. Même si leur parcours a été différent du sien, les gens de sa génération y trouveront le tableau réaliste d’une époque bouillonnante, une époque où on lisait encore et où les idées s’entrechoquaient avec fracas. Celle de leur enfance et de leur jeunesse. Les lecteurs plus jeunes la découvriront et pourront se livrer à des comparaisons éclairantes. Les uns et les autres en tireront la conviction que la littérature n’est jamais innocente. Une évidence, sans fuite, amis il n’est pas inutile de la rappeler.
Psychédélisme, punk rock, rock progressif, soul music, noise, musiques cinématiques et minimalistes, gothic ou techno, rien qui échappe à ce boulimique de la contre-culture. Il en connaît les arcanes, les nuances et les héros – souvent anti-héros, du reste, tant leurs parcours erratiques peuvent se révéler pitoyables. Un livre de référence enrichi de précieuses annexes pour les amateurs. Pour les profanes, une plongée dans un univers impitoyable. Et une mine de découvertes.
Jacques Aboucaya
Guy Darol, Guerrier sans poudre, Maurice Nadeau, mai 2014, 240 p., 15 €.
Guy Darol, Outsiders, 80 francs-tireurs du rock et de ses environs, Le Castor Astral, juin 2014, 450 p., 24 €.
> Lire la critique de Sarah Vajda sur Guerrier sans poudre de Guy Darol
> Lire la critique de Didier Bazy sur Outsiders de Guy Darol
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