"Le Corps" et autres nouvelles de Hanif Kureishi

A travers ces huit nouvelles, Hanif Kureishi, écrivain anglais d'origine pakistanaise, dépeint des hommes et des femmes en situation de crise à des moments charnières de leurs vies.

L'auteur se penche sur ce drame de l’homme moderne semblant disposer d’une infinité de possibles, de vies à faire et d’occasions à ne pas manquer, mais qui en fin de compte ne sait plus non pas se résigner mais simplement être.

Si la première nouvelle, qui donne le titre au recueil, pourrait être un roman, l’ensemble s’impose par ce fil directeur qu’est l’éventuel passage à l’acte, le renoncement ou l’acceptation. Est-t-il possible de se départir de son rang, de sa position sociale, de son âge, de son rôle de père ou de fils ? N’est-il justement pas plus difficile d’assumer lorsque les repères paraissent s’étendre sur une échelle de plus en plus grande, de plus en plus floue ?

La relation entre pères et enfants est omniprésente tout au long du recueil. L’auteur observe au microscope les inaptitudes de ses personnages et leurs regrets par le biais d’anecdotes apparemment banales. Ce n’est pourtant jamais de désespoir dont il s’agit mais plutôt de gens qui ont le sentiment d’avoir raté une étape et prennent conscience de leurs failles ou de leurs lâchetés au contact d’un événement dérisoire.

Si l’humour est une composante essentielle de l’écriture de Kureishi, la nouvelle phare, plus sombre et teintée de science-fiction, pose la question du sens de la vie amputée de sa finitude. Le héros, un écrivain sexagénaire, accepte d’essayer un nouveau corps pour une période de six mois, juste pour voir. D’autres, nombreux - sorte d’aristocratie dégénérée composée d’ex-vieux millionnaires - ont déjà franchi le cap en transplantant leurs cerveaux  sur des corps de jeunes gens décédés.

Si l’expérience est enthousiasmante pour Adam, qui s’invente une nouvelle vie dans le corps athlétique d’un jeune homosexuel sélectionné dans une chambre froide, les perspectives deviennent vite de plus en plus troubles à mesure qu’arrive l’échéance. Qu’est-ce qu’une âme dans un corps qui ne lui appartient pas ? Qu’est-ce qu’un esprit chargé des expériences d’un vieil homme dans le corps d’un éphèbe ? Celui-là, cet homme nouveau, devra alors se contenter d’errer dans les limbes de l’existence.

En fond apparaissent le diktat de la jeunesse éternelle dans une société qui paradoxalement vieillit et les dérives d’une science dénuée d’éthique.

Une écriture dépouillée, brève, presque froide, un regard subtil sur le monde moderne, donnent le ton et l’intensité nécessaire à ces esquisses de vicissitudes aux traits cliniquement justes.

Arnault Destal

Hanif Kureishi, Le Corps, 10/18, « domaine étranger », juin 2005 (Christian Bourgois, mai 2003), 366 pages, 8,50 euros
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