Écrivain japonais (né en 1949), traducteur (Carver, Scott Fitzgerald), enseigne la littérature japonaise à Princeton.

Murakami - Les attaques de la boulangerie

L'esprit de Murakami divague assez souvent et produit des oeuvres  magnifiques qui posent un regard de biais sur le monde. Il n'élucide rien, il montre les choses par le prisme du fantasmatique. C'est ce prisme qui va servir à deux très courts récits réunis dans ce volume illustré.

L'Attaque de la boulangerie, qui ouvre le volume, montre deux pauvres hères forcés par la faim qui les tenaille de s'en prendre à un boulanger pour survivre, quitte à la tuer pour un quignon de pain. Mais ils sont mauvais dans cette épreuve, se laissent distraire, et sont forcés de prendre acte de la stupidité de leur aventure. Le boulanger, philosophe, leur explique que tout devant se payer, il veut bien leur offrir du pain contre l'écoute de musique classique. Etrange marchandage, mais qui va sauver la vie de tous les protagonistes et enseigner que la nourriture spirituelle n'est pas moins consistante que la nourriture terrestre.

Quelques années plus tard, l'un des braqueurs de boulangerie fait l'aveu de sa triste expérience à sa femme dans La Seconde attaque de la boulangerie (nouvelle publiée dans le recueil L'Eléphant s'évapore et portée à l'écran en 2010 par Carlos Cuaron avec Kristen Dunst). Séduit par cette idée saugrenue, la femme insiste pour la revivre, mais plus de boulangerie à cette heure. Qu'à cela ne tienne, ce sera un McDonald's qui sera braqué. Cette reprise induit à lui seul un glissement sémantique vers le jeu, car ce n'est plus la nécessité qui pousse au crime, et ce n'est plus la nourriture substantielle qui est convoitée. Mais qui dit gratuité, chez Murakami, dit aussi vacuité... 

Ainsi la réunion des deux nouvelles forme comme un message sur la perte des valeurs et la transformation de la société japonaise. 


Loïc Di Stefano

Haruki Murakami, Les Attaques de la Boulangerie, traduit du japonais par Corinne Atlan et Hélène Morita, illustrations de Kat Menschik, Belfond, novembre 2012, 64 pages, 17 euros

5 commentaires

J'avoue avoir fréquemment des hésitations concernant le travail de Murakami, entre admiration et doutes. Cette critique me donne envie d'aller m'y confronter à nouveau.

Je commencerai par Kafka sur le rivage à votre place

J'ai commencé par After dark, qui ne m'avait pas du tout convaincu,et poursuivi avec les chroniques de l'oiseau à ressort, qui pour le coup m'a plus touché. Il faudra effectivement que je pousse plus loin, et je commencerai donc avec son "Kafka", merci.

Je partage les mêmes hésitations que toi Glencarrig, Murakami la chaise entre deux culs, parfois Werber japonnais, parfois véritable auteur, et selon moi Kafka en est le parfait exemple...

Apparemment c'est son 1Q84 qui vaudrait vraiment le détour, un pote et mangeur de livres n'a lu que celui-là de lui et hurle au génie - c'est ce qui m'a donné l'envie de lui accorder une dernière chance, mais je ne l'ai pas encore lu.

J'ai commencé moi même par "Kafka sur le Rivage", c'était en 2010, et depuis j'ai dévoré tous les livres de Murakami, qui est vraiment le seul auteur à m'avoir fait voyager aussi loin, avec ses délire et son sublime surréalisme. c'est un maître incontestable.