Ce qui fait bouger l’espace et ses représentations – Lee Miller

Lee Miller savait que  le réel reste sans réalité – d’où son passage par le surréalisme avant de revenir à une approche plus « réaliste ». L’artiste sollicite le réel afin de le faire parler par le noir et blanc en créant de paradoxaux interstices. Elle introduit des « pièges » propices au glissement de l'illusoire et du psychologique vers le mental en ménageant des territoires "virtuels" chargés de subtiles et douces provocations comme des territoires où le réel était proposé dans son aspect le plus terrible (ouverture des camps, destruction de Berlin).

 

Elle utilise la perception visuelle afin de développer un dérangement optique. Il déplace le centre de notre émotivité visuelle vers quelque chose de plus profond.  La sublimation de la beauté comme de l’horreur de la réalité a donc évolué au fil de l’œuvre de Lee Miller : la dérive surréaliste expérimentale a glissé vers quelque chose de plus passionnant car  poussé plus loin. Le réel est transfiguré non par outrance baroque mais par réduction ou condensation à travers de simples prises où l’identité est caviardée en des œuvres produites tant par l'affect  que par l'intelligence.


L’absence partielle du réel « totalisé »  rétablit un autre équilibre. Il ne s’agit plus de le  trafiquer à coup de représentations ou de constructions mais d’aller vers une nécessité de saisir la vie. Le noir-et-blanc vertèbre une vision distanciée et crée une image plus sourde. Si elle n’ajoute rien, elle ne retranche pas (au contraire) malgré tout ce qu’elle vide. L’artiste conserve de l’apparence que ce qui en a coulé et l’imaginaire développe une épaisseur cachée. Lee Miller ne crée donc pas un monde de façades mais son contraire. Le réel s’ouvre, se laisse écarter par un œil attentif animé par l’impulsion du vivant.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Walter Moser& Klaus Albrecht Schröder, « Lee Milller », Hatje Kantz, Ostfildern, 144 p., 45 Euros, 2015.


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