Le message des tableaux, des tourbillons du schéol à la paix de l’éden

Deux mondes, séparés par l’abîme infranchissable que nomme Abraham dans la parabole du riche et du pauvre Lazare, se trouvent face à face, se mesurent, luttent et triomphent tour à tour. D’un côté le ciel d’azur où volettent les anges célestes aux fines auréoles d’or que peint Giotto vers 1305-1313 dans La Déploration (Chapelle des Scrovegni à Padoue). De l’autre ces animaux démoniaques horribles à voir avec leur dents pointues et leurs chevelures hirsutes qui apparaissent sur la mosaïque du Jugement dernier, dans la cathédrale Santa Maria Assunta de l’île de Torcello, près de Venise. Aux ailes s’opposent les cornes, aux sourires les rictus, à la musique des chœurs les grondements de la bête, aux affres du pandémonium la sérénité du royaume, au paradis l’enfer, au Rédempteur l’Antéchrist. Autant que les chérubins et les séraphins, qui souvent sont plus conventionnels, les démons et les diables sont d’habiles tentateurs pour les artistes qui rivalisent d’inventivité pour en faire des créatures abominables et rusées.

 

La gamme des animaux maléfiques pourvus de griffes, de serres, d’écailles coupantes, de langues de feu, qui s’attaquent aux pécheurs,  les emportent et les engloutissent dans les fournaises de la géhenne est ample. Il est clair que Jérôme Bosch arrive en tête des peintres car il possède une imagination incroyable et inépuisable, mais Frans Floris, Rubens et La Chute des anges rebelles (1620), Raphaël dont l’Archange Michel tranche d’un coup le corps du dragon écrasé sous ses pieds (1505), Goya et son Sabbat (1797-1798), William Blake n’en manquent pas non plus et leur savoir pour dépeindre l’Apocalypse ou toute autre scène infernale est immense. Devant quels tableaux la chair ne tremble et soudain l’âme ne s’interroge, comme le montre Arnold Böcklin dans cet Autoportrait avec la mort jouant du violon (1872) ?  

 

De ce monde invisible, de ces êtres imperceptibles dont certains sentent la présence bénéfique ou maléfique, les artistes ont comme une connaissance propre à eux, une intuition particulière, des visions qu’ils partagent, des pressentiments qu’ils transmettent, formant des images nouvelles à partir des idées, élaborant un discours spirituel inédit, constituant un code d’ illustrations reposant sur des concepts dont personne n’a l’assurance de la validité, définissant ainsi des subjectivités, révélant des univers séparés avec leurs versants de blancheur et de noirceur. A travers leurs projections, nous éprouvons nous aussi ces tourments et ces délices qu’ils fixent à leur manière et qui fait en quelque sorte autorité.  

 

Devant cette dualité de la vie, entre ces deux pôles, les apôtres, les saints et les saintes, les martyrs de tous les temps ont choisi la voie étroite, le combat de la lumière sur les ténèbres. Aux prix des sacrifices que l’histoire a consignés, la religion fêtés et l’art célébrés. Le répertoire iconographique est là encore illimité et fait appel à la fois à des faits précis et des compositions parfois étranges. Les représentations de la tête de saint Jean Baptiste sur un plat, (Rogier Van der Weyden, Andrea Solario), saint Martin partageant son manteau, (Le Greco, Bartolomeo Vivarini), les clés remises à saint Pierre, saint Jérôme et son lion au désert, sainte Cécile et ses instruments de musique appellent aisément des symboles et des attitudes inscrites dans la mémoire qui semblent moins se prêter à des interprétations fantaisistes. Sainte Madeleine en revanche offre aux peintres une grande latitude de mouvements, couleurs et styles dans le langage artistique, comme on peut le voir à travers la dizaine de reproductions de tableaux, tous aussi éloquents et révélateurs d’un épisode de sa vie, qu’ils soient signés Simon Vouet, Georges de La Tour, Titien ou Lucas Cranach. De même saint Sébastien, percé de flèches, thème si souvent repris par les peintres, depuis Antonello da Messina jusqu’à Odilon Redon.

 

A côté des noms les plus réputés de l’histoire sainte, apparaissent des femmes et des hommes en apparence de moindre envergure, moins traités, au demeurant capitaux en raison de faits majeurs qui participent aux dogmes ecclésiaux et intègrent de ce fait les grandes figures de l’église. Citons parmi de nombreux autres, Laurent, vivant au IIIème s. en Aragon puis à Rome, mort sur un gril ;  Apolline, ayant également vécu au IIIème s., dont les dents furent cassées et les mâchoires brisées ; Florian, représenté en soldat avec une lance, un étendard et une meule autour du cou ; Elisabeth de Hongrie, dont les attributs sont la couronne, une corbeille de pain, un tablier avec des roses.

 

En six chapitres, ce volume richement illustré analyse dans un jeu intéressant de correspondances les liens entre art, religion, sainteté, histoire, et met en valeur les évolutions des mentalités dans la traduction de ces relations. A la fois ouvrage d’art et livre documentaire, il s’impose comme un guide invitant à découvrir une large et complète information sur cet art pieux qui est partout présent en Occident et dont il faut posséder les clés pour ne pas passer à côté des messages dont l’auteur, professeur d’art, transmet le sens artistique et la signification spirituelle. Une fois encore, on voit combien les artistes et les peintres en premier, sont des vecteurs de beauté et des passeurs de sens.   

 

Dominique Vergnon

 

Rosa Giorgi, Le livre d’or du paradis et de l’enfer, Hazan, collection Beaux-arts, février 2014, volume relié cartonné, 17,3 x 25,5 cm ; 500 illustrations, 504 pages ; 29,45 euros.

 

 

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