Les Impressionnistes en privé – Cent chefs-d’œuvre de collections particulières

Si, comme votre serviteur, vous vous êtes cassé le nez trois fois de suite face à l’interminable file d’attente du musée Marmottan Monet (qui célèbre son 80e anniversaire), vous pourrez, nonobstant, vous dire que vous n’aurez pas tout perdu et vous rabattre sur ce bel objet, catalogue de plus de deux cents pages, orné de forts remarquables reproductions. Si rien ne remplace la confrontation in situ face au tableau, et si un peu de frustration s’installera - car cette exposition n’est pas prête de se refaire étant donné que ce ne sont que des œuvres prêtées par des particuliers -, demeure ce témoin de papier glacé qui étanchera la soif de voir, apaisera la crispation de n’avoir pu en être…

 

Installé dans ce qui fut la demeure de Jules et Paul Marmottan, le musée est devenu un haut lieu de l’impressionnisme : en partie parce que les Marmottan furent parmi les tout premiers collectionneurs, puis par l’intervention, en 1966, du fils de Claude Monet, Michel, qui fit don du premier fonds mondial d’œuvres de l’artiste.

L’exposition actuelle retrace l’histoire des acquisitions privées à travers une rigoureuse sélection d’œuvres provenant de collections séculaires et d’autres récentes du monde entier.

 

N’oublions pas que ce fut au début de l’année 1877, sous l’impulsion de Gustave Caillebotte, que cette bande de pieds nickelés que les critiques ont éreinté et baptisé impressionnistes, peintres aussi doués qu’indisciplinés, se retrouvèrent autour d’une table pour un dîner fondateur. Monet, Renoir, Degas, Sisley, Pissarro et Manet réunis rue de Miromesnil pour établir une stratégie et conquérir le marché ! On imaginera volontiers – d’autant plus aisément que si l’on a la preuve de l’invitation, retrouvée dans les archives de Piassarro, on ne sait rien de ce qui fut dit – combien l’entreprise était ambitieuse et impossible. Tous ces esprits libertaires à séduire et à mener vers le même dessein, quelle gageure ! Mais à nulle folie pari impossible n’est tenu, cependant Caillebotte avait plus d’un tour dans son sac et pour cette troisième exposition de ses poulains il osa tout : assumer le terme d’impressionniste, louer un appartement neuf et vide au premier étage de la rue Le Peletier, faisant ainsi preuve d’un fort sens marketing car il proposait aux visiteurs de voir les tableaux dans l’exact configuration que cela pourrait être chez eux, et non plus au Grand Palais ou sur les cimaises d’un galeriste. Coup de bluff mais coup de génie ! Et le coup de grâce – pour attirer les timorés parmi ces clients potentiels – fut de leur faire croire que les artistes exposés étaient déjà acceptés par leurs congénères en inscrivant des initiales sur les cadres. Monsieur Pinault n’a rien inventé, le marché de l’art est avant tout… un marché.

 

Mais là où François Pinault nous vend neuf fois sur dix d’immondes créations et prend le public pour un imbécile, Gustave Caillebotte eut l’œil absolu. Et ce catalogue, classé par ordre alphabétique,  nous le démontre en s’ouvrant sur EugèneBoudin (dont le musée Jacquemart-André nous livra en 2013 une étonnante exposition) et son Port de Bordeaux (1875) au gris argentin qui se joue des décalages et des superpositions. Puis en 1890 ce sera Bénerville. La plage où la ligne d’horizon, très bas, permet à l’artiste de traiter l’infini du ciel avec une évidente volupté.

Vient Corot qui tangue entre un extrême réalisme (Ville-d’Avray, le grand étang et ses villas, 1850-55) et une fuite plus sensuelle vers les infinies ponctuations colorées donnant plus de mobilité (La Vachère au bord de l’eau, 1870).

Johan Barthold Jongkind et son Voilier dans le port de Honfleur, 1863 laisse voir une construction qui privilégie le ciel et les reflets sur l’eau, donnant une onctuosité au tableau que l’économie de forme renforce encore…

Manet, Bazille et… Caillebotte dont Le Boulevard des Italiens (1880) offre une vue plongeante avec perspective montante, assemblage de petites touches bleu foncé, grises, jaunes et vertes, un tableau majestueux. Puis Cézanne, Degas et Guillaumin dont le Quai de la Rapée (1873), un pastel sur papier chamois bleu, synthétise l’instantanéité de la touche et de la lumière, parvenant à traduire les reflets du ciel dans la Seine : une esthétique toute japonaise qui rappelle les estampes ukiyo-e.

 

Claude Monet apparaît enfin, avec surtout deux extraordinaires tableaux : Sur les planches de Trouville, hôtel des Roches noires (1870) et Voilier au Petit-Gennevilliers (1874). Moins connu, Leicester Square (Londres) la nuit (1900) qui fait songer aux turpitudes de William Black, tant la perspective, avec ses lumières noyées dans la brume nocturne, suggère un univers noir et inquiétant. On découvrira aussi avec amusement ces caricatures réalisées vers 1857.

Berthe Morisot et Camille Pissarro accompagnent Renoir et Sisley clôt de belle manière ce catalogue avec Lisière de forêt (1895), un tableau rayonnant qui démontre combien le peintre s’attachait à exprimer les accords qui règnent à tout moment entre la verdure, le ciel et le paysage.

 

François Xavier

 

Richard R. Brettell, Claire Durand-Ruel Snollaerts, Marianne Mathieu, Les Impressionnistes en privé – Cent chefs-d’œuvre de collections particulières, volume bilingue (français-anglais) broché, 220 x 285, 120 illustrations, Hazan, mars 2014, 216 p. – 29,00 €

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