Poussin, une gloire nationale

Bien qu’il ait vécu en majorité à Rome, Nicolas Poussin (1594-1665) est un peintre tout ce qu’il y a de plus français. Non seulement par ses attaches normandes, mais parce que son génie est de son pays. En d’autres termes triomphent chez lui ce qui marque l’appartenance foncière aux racines françaises, la rigueur du discours, l’érudition qui le place quoique sans exclusivité du côté des philosophes et des intellectuels, cette alliance qui se retrouve dans tant de ses tableaux entre couleur et dessin, c’est à dire entre sensualité et simplicité, la logique des différentes actions qui s’aimantent afin de parvenir à une totalité visuelle, la place de son œuvre à la jonction de l’humain qui le relie à la terre et du divin qui l’attire vers le ciel.  Fénelon, précepteur du duc de Bourgogne, dans un texte de 1692, « tresse l’éloge de Poussin » et souligne la hauteur de son « esprit ». Cette célébrité sera l’objet de controverses entre Félibien et Roger de Piles, le second s’appliquant à réduire le monument dressé à la gloire du peintre par le premier.  

 


Pendant plusieurs années, qui se situent précise Olivier Bonfait de 1644 à 1651, alors qu’il séjourne à Rome, il reçoit de France des commandes d’importantes relations qui lui sont proches et à Paris, en dépit de son éloignement des cercles qui comptent, on  parle de lui et on s’enquiert de son travail. Après sa mort, de nombreux peintres suivront son immense sillage. Imiter Poussin devient comme un gage de talent, une manière de reconnaissance. Inspiration n’est pas falsification. « Ces toiles sont peintes par des artistes qui « font » du Poussin à un moment donné de leur carrière afin d’assimiler un style ou pour répondre à une demande. Ces œuvres sont différentes des pastiches, des tableaux faits « à la manière de » qui servent surtout à prouver la virtuosité de leurs créateurs ».

 

L’héritage de Poussin est donc considérable et perdure. Pour saisir cette place et lui donner dans la durée un autre éclairage, on se permet de reproduire ici un extrait du résumé de la thèse soutenue le 21 novembre 2006 par Madame France Trinque, dont le sujet est La fortune critique de Nicolas Poussin dans la seconde moitié du XVIIIe siècle en France : « En effet, la fortune visuelle de Poussin est très riche autour des années 1780 : sa renommée le définit à ce moment précis de l’histoire de l’art comme le parangon dans la peinture française. Le style néo-poussiniste fut adopté par David et les artistes qui gravitaient autour de lui pendant la période de formation du style néoclassique entre 1780 et 1789. Le nouveau style classique s’est inspiré des principes de Poussin (composition en frise, géométrisation de l’espace pictural, linéarité et sobriété des formes, couleur locale) que les peintres français, liés à l’Académie, avaient développé pendant leur séjour en Italie. Le néo-poussinisme de ces années-là est incontestablement rattaché aux compositions des tableaux de lit funèbre et aux Sacrements puis à l’étude des fabriques de Poussin que proposaient les paysages et les arrière-plans de ces toiles. Le nouveau classicisme qui règne alors en France traduit une vérité expressive et une pureté esthétique caractéristique de l’art du peintre national ». 


On le nomme non sans raison « Le Raphaël français », pour la perfection esthétique qui traverse son œuvre. Peut-être aussi en pensant à ce que disait, sans d’ailleurs que ce soit vraiment fondé, Chateaubriand sur ces « yeux français qui ont vu le mieux la lumière d’Italie ». Formé à et par l’antique - où trouver meilleur terrain de formation qu’à Rome, car selon ce qu’on en sait, chaque jour il allait voir les monuments romains et faisait des études - son style porte néanmoins cette « empreinte mondaine et terrienne » qui est proprement celle qui l’a également nourri, c’est-à-dire française. On ne le nomme pas non plus « le prince de l’école française » pour rien. Les qualificatifs les plus élogieux lui ont été décernés, sublime, irréprochable incomparable, héroïque. Même ses détracteurs ont salué la noblesse de ses sujets. Il a été le premier peintre du roi sous Louis XIII.

 

L’auteur de ce livre très documenté examine comment ce qu’on peut considérer comme le mythe Poussin a été dépassé, repris et reconstruit pour l’adapter et l’insérer dans l’histoire française. Le « vertige » que Poussin, créateur de panique, d’orage, de ruines, de meurtre, de rapt selon les mots d’André Masson suscitait autrefois se prolonge toujours.


Dominique Vergnon


Olivier Bonfait, Poussin et Louis XIV, peinture et monarchie dans la France du Grand siècle, Hazan, collection « essais, écrits sur l’art », avril 2015, 14,2 x 21 cm, 304 pages, 50 illustrations, 27 € 

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